Tuskaland

Agots de Gascogne.

"Les restes des Goths demourez en Gascogne"

Monstrous cavalry

Si des hommes du Nord sont restés en Gascogne, il devrait être aisé d’en repérer les descendants. À la différence de la Normandie où les Scandinaves se sont intégrés dans une société peuplée de Francs et de Saxons leur ressemblant physiquement, en Gascogne, les Scandinaves auraient dû émerger de la masse. On aurait dû découvrir des Gascons aux traits nordiques, comme les Gahets de la Punte de Capbreton.

Or des communautés de Goths, blonds aux yeux bleus ont bien existé en Gascogne, mais, détail passionnant, elles sont entourées d’un tabou… C’est une anomalie de plus dans l’histoire de la Gascogne, une tige penchée d’autant plus significative que l’origine de ces communautés est toujours débattue aujourd’hui…

 

Un sujet sensible

Ces Gascons aux yeux clairs ont pendant très longtemps été tenus à l’écart de la société gasconne, puisqu’il fallut attendre 1789 pour voir leur "égalité citoyenne" admise. Les descendants de ces "parias " étaient montrés du doigt jusqu’en 1914. La Grande Guerre révéla que ces Gascons étaient tout aussi braves et honorables que leurs frères et permit leur intégration définitive. Cependant, évoquer cette mise à l’écart en 2017, c’est évoquer une ségrégation dont ni les descendants des exclus ni ceux de leurs oppresseurs ne veulent parler. C’est parce que j’ai osé mentionner l’origine de ces communautés qu’aussitôt certains m’ont accusé de tenir des propos "révisionnistes" et même d’avoir des "arrières-pensées raciales". Le sujet est sensible.

Capots, Cougots, Cagots ou Agots

En 1842, Elie Berthet écrit dans son roman L'Andorre: "C'était un grand jeune homme blond, aux formes athlétiques, mais au teint blanc, aux yeux humides, qui témoignaient d'une certaine timidité dans le caractère. Il n'était pas difficile de reconnaître en lui un de ces descendants de Visigoths dont la race s'est conservée pure dans les pays basques, au milieu de ces populations indigènes qui depuis le Moyen-Âge lui ont voué une haine mortelle." Cette "haine mortelle" vouée à ces  "descendants de Visigoths" blonds, au teint blanc et aux yeux humides fut une réalité pendant des siècles en Gascogne.

Vers 1910, dans son roman Hossegor, Rosny jeune décrivait ainsi les descendants des chasseurs de baleines de Capbreton, les Gahets de la Punte: "Restes dégénérés d’une population germanique, qu’on appelle encore Goths, pâles, d’un blond fadasse, aux yeux bleus de lin, ultimes descendants des Wisigoths." Connus sous le nom de Gahets sur la côte, Agotacs au Pays basque, Capots en Armagnac, Cougots dans le Comminges, Cagots ou Agots ailleurs, ces parias appartenaient à des communautés tenues à l’écart du reste de la population. Leur origine est débattue depuis toujours.

En 1579, François de Belforest suggéra que ces exclus étaient des juifs convertis. En 1599, Giovanni Botero voyait en eux des Cathares abhorrés. En 1640, Pierre de Marca rejetait l’hypothèse cathare avec un argument de poids : ces exclus sont mentionnés pour la première fois par le cartulaire de Lucq en l’An Mil, alors que le drame cathare eut lieu deux siècles plus tard. Pierre de Marca pensait qu’ils étaient des Sarrasins restés de ce côté-ci des Pyrénées après la défaite de Poitiers en 732. En 1847, Francisque Michel les pensait réfugiés espagnols ayant fui les Mahométans du temps de Charlemagne. En 1910, le Docteur du Fay les estimait descendants de lépreux, une origine qui fut très largement acceptée, accroissant encore le mal-être des descendants des cagots. En 1998, Benoît Cursente suggérait qu’ils auraient été des descendants de charpentiers, jalousés et donc rejetés…

Une origine Visigothe contestée

En 1613, Florimond de Raemond, un parlementaire bordelais, reprend l’idée déjà ancienne qu’ils sont descendants de Visigoths: "Il y a grande apparence que ce sont les restes de Goths ariens, qui furent défaits à nos portes… et que le victorieux donna la vie à quelque misérable canaille, qui échappa à la furie du combat, à la charge de se séparer en divers lieux qui leur furent assignés pour leur demeure en Guyenne et en quelques endroits du Languedoc, après avoir abjuré leur hérésie." Pour renforcer sa proposition, il évoque: "En quelques lieux, la coustume du pays leur défend de porter armes ny mêmes avoir des cousteaux qui ne soyent émoussez. À quoy sont bonnes ces défenses si ce n'est pour marque et témoignage de sédition et rébellion, compagne certaine et infaillible de l'Héresie ?"  Les Visigoths avaient dominé la Gascogne de 412 à 507 et cette interdiction de posséder des armes confirme aux yeux de Florimond de Raemond qu’ils appartiennent bien à un peuple guerrier vaincu dont on craignait le retour au pouvoir.

Alexandre Du Mège partage l’opinion de Florimond de Raemond: "Aucune circonstance historique n'empêcherait de voir dans les Cagots, ou chiens goths, dans les familles Agotes du Labour, de la Soule et du Béarn et dans les Capots de l'Armagnac, les restes détestés de ces Visigoths qui… dominèrent dans toutes les contrées limitrophes des Pyrénées et qui tinrent pendant longtemps l'Espagne sous leur joug.

Cependant, cette origine visigothe est contestée depuis toujours. Dès 1579, François de Belforest critique cette proposition: "D'autres dient que ce sont les restes des Goths demourez en Gascogne ; mais c'est fort mal parler car la plupart des maisons d'Aquitaine et d'Espaigne, voire les plus grandes sont issues des Goths, lesquels longtemps avant le Sarrasinesme avoyent receu la religion catholique pour quitter l'Arrisnisme [Arianisme]." Ces parias ne peuvent pas être des Visigoths qui sont à l’origine des plus nobles familles du pays. L’argument se tient.

 

Une armée vaincue

Une tradition d’Ainoa les dit descendants d’une armée vaincue. Cette tradition est confirmée par Martin de Viscaye en 1621 qui nous livre un témoignage capital : « Vers 412, une partie de ce peuple envahit Aquitaine et Gascogne et commit tant de cruautés que les habitants du pays se rebellèrent, unirent leurs forces et guidé par la noblesse réussirent à détruire ou chasser les Goths, desquels seulement quelques misérables restèrent sans être dangereux. Ces miséreux, selon l’auteur, furent les premiers Agots et il affirme que c’est une tradition constante en Béarn et Basse Navarre. » Si Martin de Viscaye évoque l’année 412 qui correspond à la période visigothe, ce qu’il décrit ne correspond pas à l’action des Visigoths. Les Visigoths n’ont jamais envahi l’Aquitaine. Ce sont leurs alliés romains qui leur ont confié cette province qui est entrée dans leur domination sans heurts : ils n’ont jamais eu à conquérir le pays ni à combattre les Aquitains. Les Visigoths n’ont pas commis les « cruautés » décrites par l’auteur.

Par ailleurs, les Visigoths ont été défaits en 507 à la bataille de Vouillé par Clovis, un roi franc, un étranger et certainement pas par des « habitants rebellés emmenés par la noblesse ». De leur côté, les Vikings battus à Taller en 982 furent défaits par Guillaume Sanche, qui avait rallié la noblesse navarraise et périgourdine. Il les défit seul sans l’aide du roi de France. Il s’ensuit que Martin de Viscaye évoque bien les combats contre les Vikings, mais les antidate et les attribue aux Visigoths. Cette confusion est également faite par Florimont de Raemond. Lorsqu’il précise qu’on se sépara de « divers lieux qui leur furent assignés pour leur demeure en Guyenne et en quelques endroits du Languedoc ». C’est une claire allusion aux enclaves scandinaves accordées à l’abbaye de Saint Sever, mais aussi aux quartiers où ils étaient « assignés à résidence ». On a connaissance de rien de tel à l’issue de la bataille de Vouillé…

Cette origine scandinave est confortée à la fois par la géographie et la chronologie.

 

Les Nord-Homs de Gascogne

Géographiquement, les Agots apparaissent en Gascogne et en Navarre ; or, nous l’avons vu, le duc de Gascogne avait épousé la reine de Navarre. Les exclus apparaissent non pas en Septimanie, terre visigothe par excellence, mais sur les terres des vainqueurs de la bataille de Taller. Cela semble confirmer l’origine politique — et non sanitaire ou religieuse — de l’exclusion. D’un point de vue historique, le Cartulaire de Lucq, premier texte à mentionner leur existence, date de l’An Mil ; or la bataille de Taller a eu lieu dix-huit ans plus tôt, à quatre-vingts kilomètres de là… Il serait étonnant que ces parias apparus autour de l’An Mil soient des descendants de Visigoths, présents surtout en Septimanie et vaincus cinq siècles plus tôt… Enfin, le Cartulaire de Lucq les évoque non pas sous le nom de Cagot, terme apparu au XIVsiècle, mais sous celui de Chrestians et Crestias. Il s’agissait de chrétiens de « seconde zone ».

D’ailleurs, encore au XIXe siècle, leurs descendants, s’ils pouvaient assister aux offices religieux, ils devaient entrer dans l’église par une porte basse les obligeant à se courber, car ils étaient grands et fiers comme leurs ancêtres. Ils avaient un bénitier séparé pour ne pas polluer les autres ouailles. Dans certaines églises, ils étaient parqués derrière des cloisons qui les empêchaient de voir l’autel. Ils avaient le droit de communier, mais seulement après les autres et le prêtre avait souvent recours à une cuiller en bois pour leur remettre l’hostie sans avoir à les toucher. Ils avaient interdiction de posséder armes, chevaux et chiens, autant d’attributs associés au pouvoir militaire perdu. Ils n’avaient pas le droit de commercer, comme si on avait craint qu’ils ne reconquièrent par le commerce le pouvoir qu’ils avaient perdu par les armes. Ils étaient charpentiers, tonneliers, cordiers et bien sûr d’intrépides chasseurs de baleine. Les techniques gasconnes et basques de chasse à la baleine, de constructions navales, de charpenterie, de tissage du feutre sont d’origine scandinave et les Agots étaient ceux qui détenaient et transmettaient ce savoir.

Si l’origine scandinave des Agots n’est pas apparue avec évidence jusqu’à présent, c’est pour deux raisons principales : la première est que personne n’ayant jamais envisagé l’installation des Scandinaves en Gascogne, il n’y avait aucune raison de chercher trace de leur descendance ; la seconde que ces communautés d’exclus — a priori de type nordique — vont attirer au cours des âges les exclus de toutes origines qui vont venir s’agglomérer à ces communautés et en modifier la structure. On peut essayer de retracer la « malédiction » qui frappa ces communautés…

 

Des crestias aux cagots

Lorsque les templiers vinrent au XIIsiècle sur la côte atlantique pour développer le transport maritime vers Saint-Jacques de Compostelle comme ils l’avaient fait vers la Terre Sainte, ils s’installèrent à La Rochelle et Capbreton. À Capbreton, ils découvrirent autour du port ces intrépides chasseurs de baleine, charpentiers de marine exceptionnels. Ils ont aussitôt fondé leur commanderie et une chapelle au sein de cette communauté. Les templiers allaient faire d’une pierre deux coups : convertir ces chrestias qui végétaient dans l’exclusion depuis près de deux siècles et se lier avec des marins intrépides doublés d’artisans qui avaient de l’or dans les mains, un trésor dont ces armateurs savaient quoi faire. Les templiers s’installèrent parmi ces communautés d’exclus dans toute la Gascogne. Grâce aux templiers, les chrestias allaient enfin entrer dans la famille chrétienne.

Malheureusement, le destin en décida autrement. En 1310, trop puissants aux yeux du roi, les templiers sont dépossédés de leurs biens et chassés de France. Leurs navires appareilleront pour le Portugal où leur savoir-faire maritime permettra à Henri le Navigateur d’initier ses grandes expéditions africaines à partir de 1415. Leurs commanderies et possessions en France vont être confiées aux Hospitaliers.

Les Hospitaliers, eux aussi intéressés par les chemins de Saint-Jacques, vont construire leurs hôpitaux au sein des commanderies templières. Ce choix va sceller le sort des chrestias : alors qu’ils étaient sur le point d’entrer dans la famille chrétienne sous l’aile protectrice des templiers, les voilà une nouvelle fois exclus, cette fois-ci par le fait des Hospitaliers, car désormais, on va les assimiler aux lépreux et aux mendiants qui s’installent autour des maladreries parmi eux. Cet apport de sang neuf va changer la nature des communautés. Le terme de crestias – désignant ces Goths « christianisés en apparence » — ne correspondant plus à la réalité sociale de ces groupes, le terme « cagot », péjoratif, apparaîtra au XIVsiècle.

Une malédiction poursuivait les Nord-Homs de Gascogne.

 

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