Tuskaland

Sources et chronologie

Une page blanche de l'histoire ?

Le Haut-Moyen-Âge aquitain n’existe pas.

C’est en tout cas ce que disent les médiévistes qui se sont penchés sur la période. En 1980, l'historien bordelais Charles Higounet écrit : « Entre la catastrophe du milieu du IXe siècle (invasion viking) et la fin du Xe, l’histoire de Bordeaux est presque une page blanche, faute de documents »[1].

Au sud de la Gascogne, c’est pire encore. Eugène Goyeneche écrit en 1990 : « Nous n’avons pas à nous occuper ici de la période qui a suivi la domination romaine, elle n’a laissé aucune trace sur le sol bayonnais, et le silence et les incertitudes dont s’enveloppe l’Histoire de Bayonne à cette époque font croire à une longue période de décadence sinon de ruine totale ». L’auteur décide de commencer son histoire de Bayonne au 12e siècle…  Les auteurs gascons sont unanimes : on ne sait pas ce qu’il s’est passé aux 9e et 10e siècles et il est impossible de le savoir.

En 1895, Camille Jullian écrivait : « Pendant près de trois siècles, le nom de Bordeaux disparait des récits historiques. On a l’illusion (sic) que la prise de la ville par les Normands a mis fin à son existence ». (p. 107). Il est intéressant de constater qu'incrédule devant l'évidence, Camille Jullian préfère penser qu'il s'agit d'une "illusion".

Pourtant, il existe plusieurs sources gasconnes qui permettent de noircir ces pages blanches. Si aucun historien ne l'a fait, est-ce vraiment parce que les sources manquent ? 


[1] Charles Higounet , Histoire de Bordeaux, Privat, 1980, p. 82.

Premières mentions

770, La chronique de Lejre et Saxo Grammaticus évoquent une expansion scandinave dans le sud.

Chronicon Lethrense, VIII.

Mortua Asa, que patri Olauo successerat, rex Danorum factus Haraldus, qui et Hyldetan dicebatur; iste dominium habuisse dicitur, factis sibi tributaris omnibus regnis usque ad mare mediterraneum.

A la mort d'Aasa, qui succédait à sont père Olaf, Harald fut fait roi des Danois, et surnommé Hildtand, la dent guerrière. Il se dit que ce seigneur fit de tous les royaumes jusqu'à la mer Méditerranée ses tributaires.

Saxo Grammaticus, La Geste des Danois. libre VII.

"Duc et Dal devinrent ses compagnons d'armes et avec eux, il [Harald Hildetand] soumit l'Aquitaine."

Or, le roi Harald Hildetand trouve la mort à la bataille de Bravellir dans les années 770.

793, Lindisfarne

En 793, les Vikings attaquent le monastère de Lindisfarne en Northumbrie, puis l'année suivante celui d'Iona sur la côte ouest de l'Ecosse. Ces attaques ont été interprétées comme les premiers raids menés par des pillards, une interprétation qui a traversé les siècles. 

Pourtant, il existe une autre lecture possible. Le monastère de Lindisfarne avait été fondé en  635 par le moine Aidan à la demande du roi Oswald de Northumbrie pour évangéliser le Nord de l'Angleterre. Le monastère était devenu un acteur majeur de la politique de christianisation des îles britanniques. Certains ont vu dans cette attaque des représailles après le massacre de Verden en 782. A l'issue d'une victoire, Charlemagne ordonne l'exécution de 4500 prisonniers saxons. La notion de crime de guerre n'existait pas, mais la barbarie des Francs avait été regardée comme tel par les hommes du Nord.  Lindisfarne pourrait bien avoir payé pour Verden. 

Cette dimension politique de l'attaque semble confortée par l'attaque contre Iona.  En effet, Aidan, le fondateur de Lindisfarne, venait du monastère d'Iona. Un monastère fondé par Saint Colomban pour évangéliser l'Ecosse... Ces attaques n'étaient pas menées contre des monastères pris au hasard,  mais contre des acteurs majeurs de la conversion chrétienne, ennemis acharnés des dieux nordiques.

793, un Pays des Madjous au nord des Pyrénées. 

Ibn Idhari, Al-Bayano'l-Mogrib..., t.II, p.101-102. In Philippe Sénac, Charlemagne et Mahomet, Folio Histoire 2015.

"En 177 (18 avril 793), Hicham mit à la tête de l'expédition d'été, dirigée contre les pays chrétiens, Abd El Melik Ben Moghith. Cette campagne, restée célèbre, fut très importante; celui qui la dirigeait poussa jusqu'à Ifrandja, devant laquelle il mit le siège et où il ouvrit à l'aide de machines de guerre une brèche dans les murailles; il menaça le pays des Madjous, parcourut le territoire ennemi et pendant plussieur mois resta à brûler les bourgades et à détruire les châteaux forts : il attaqua même la ville de Narbonne. Ces succès importants eurent pour résultat un nombre de prisonniers tel que le quint se monta à 45 000 têtes, sans parler du butin en métaux précieux".

795, Le Pays des Madjous situé sur la côte. In al Athir (13e) et Ibn Idhari (14e)

Ibn Idhari (14e s.), In Perez de Laborda, p.350.

« Alfonse rassemblait des hommes de son royaume et avait demandé aide aux Basques et à ses autres voisins, les Mayus et à d’autres… »

Ibn Idhari indique que le "Pays des Madjous" est voisin du royaume des Asturies.

Ibn al Athir (13e s.) In Perez de Laborda, p.342.

« Alfonse (II le Chaste) réunit une armée. Il est aidé par les Vascons, ses voisins, et par les Mayus (Scandinaves) qui vivaient sur la côte de cette région. »

Plus précis, Ibn al Athir indique que les Madjous vivaient sur la côte de cette région (le royaume de Pampelune), il s'agit de la côte basque. Le Pays des Madjous se trouvait sur la côte et non dans la région toulousaine!

Certains ont contesté que les Mayus ou Madjous évoqués en 795 aient pu être des Scandinaves. Pourtant, dans le même texte, Ibn al Athir évoquant l'attaque contre Séville en 844 l'attribue à ces mêmes Madjous. Pour lui, il n'y a aucun doute : il s'agit des mêmes "païens". Par ailleurs, les Musulmans savent que l'Occident est chrétien et que les seuls païens dans cette partie du monde sont des Scandinaves. Enfin, ces païens ne peuvent être des Basques -contrairement à ce qu'ont suggéré certains- puisque les auteurs arabes évoquent les Basques ou Gascons d'un côté et Madjous de l'autre. 

799 Noirmoutier

La lettre d’Alcuin, abbé de Saint Martin de Tours, à l’Evêque Arno de Salzbourg évoque l'attaque en ces termes : 

" Les navires païens, comme vous l’avez appris, causèrent de nombreux malheurs dans les îles de l’océan des régions d’Aquitaine. Une partie d’entre eux périt : environ 115 de ces pirates furent tués sur le rivage. Leur venue, inconnue du peuple chrétien aux temps anciens, est un châtiment important du fait que les serviteurs de Dieu n’observent plus les vœux qu’ils ont l’habitude de faire."  

Les pertes scandinaves suggèrent qu'il s'agissait vraisemblablement d'un convoi marchand surpris par une troupe franque ayant franchi le chenal du Gois à marée basse.  Cette attaque intervient un an après une nouvelle victoire de Charlemagne en Saxe. Widuking, le chef saxon, avait une nouvelle fois réussi à échapper à Charlermagne et trouvé refuge auprès du roi danois. De rage, Charlemagne fait déporter 10 000 Saxons, des femmes et des enfants qu'il envoie en Germanie et en Neustrie. La colère de Charles était également tournée contre les Danois. Etant incapable de les attaquer sur leur îles, il aurait décidé de les frapper là où ils étaient les plus vulnérables : sur les rivages atlantiques.  Les Francs ayant interdit aux chrétiens de commercer avec les païens, ces Danois ne venaient pas commercer du sel de Guérande. Que faisaient-ils sur les rivages de Francie ? Se rendaient-ils en Gascogne, voire plus loin ?

800. Témoignage de Nokter le Bègue, moine de Saint Gall, Suisse.

Nokter évoque une anecdote qu'il ne date pas.

Charlemagne est en visite dans un port de Narbonnaise. C'est alors qu'apparaissent à l'horizon des voiles inconnues. On songe à des Grecs, des Juifs ou des Saxons, mais c'est Charlemagne qui reconnait les voiles scandinaves. Des larmes commencent alors à couler sur ses joues. On lui demande la raison de son émoi. Charlemagne dira alors qu'en voyant ces païens sur ces rivages de son vivant, il craint le pire pour ses successeurs et descendants. 

Cette présence précoce de scandinaves en Méditerranée du vivant de Charlemagne (avant 814) est a priori absurde : la première flotte viking à entrer en Méditerranée serait celle de 858. Certains ont essayé de délocaliser cette anecdote en Manche où Charlemagne visite la flotte au printemps 800. Or, si cela avait été le cas, jamais on n'aurait soupçonné des navires grecs ou juifs. On aurait aussitôt identifié les navires scandinaves. Par ailleurs, Charlemagne n'aurait jamais été ému à ce point car les flottes de la Manche avaient justement pour objet de s'opposer aux Scandinaves. Cette anecdote s'est nécessairement déroulée en Méditerranée. Or, la dernière fois de sa vie que le souverain est venu en Méditerranée, c'était en 800 pour y être couronné empereur. Cette anecdote a nécessairement eu lieu dans les semaines précédant ou suivant le 25 décembre 800, date du sacre. Cette visite à la flotte de Méditerranée est d'autant plus légitime qu'en début d'année, Charlemagne avait visité la flotte de la Manche et il était naturel qu'il en fasse de même en Méditerranée. Par ailleurs, cette flotte lui avait offert sa première victoire navale aux Baléares en 798 et lui avait retourné les bannières prises à l'ennemi. Le témoignage de Nokter permet d'affirmer qu'une flotte scandinave se trouvait en Méditerranée dès l'an 800. C'est difficile à croire si on considère que l'expansion viking débute en 793, mais cette date est aujourd'hui complètement remise en question par les découvertes des bateaux de Salme, à Saarema en Estonie en 2010 et 2013 qui prouvent que dès avant 750, les raids vikings avaient déjà lieu, longtemps avant la date artificielle de 793. Si on ajoute les témoignages des sources scandinaves évoquant la présence des hommes du Nord en Aquitaine du vivant d'Harald Hildetand dès les années 770, il n'y a dès lors aucune raison de penser qu'une flotte scandinave en Méditerranée à cette date précoce était impossible. Cette source franque vient, aux côtés des sources scandinaves et arabes, confirmer l'expansion précoce des hommes du Nord dans le sud. Les raids n'ayant pas encore commencer, on peut imaginer qu'il s'agissait d'expéditions commerciales.

810, l'embouchure de la Charente

En 810, Louis le Débonnaire, encore roi d'Aquitaine, fait fortifier l'embouchure de la Charente.  Cette mesure signifie que les Hommes du Nord signalés à Noirmoutier en 799 descendaient bien plus au sud.

816, Saltan, le meilleur chevalier Madjous tué au combat. Ibn Hayyan. In Perez de Laborda, Hayyan, 2. p.316.

Le roi de Pampelune est Velasco l'Aquitain. Abd el Karim ibn Muguit le défait après treize jours de combats.

"Beaucoup périrent. parmi eux, Garsiya ibn Lubb (Garcia, fils de Loup), fils de la soeur de Barmud (Vermudo), l'oncle maternel d'Idfuns (Alfonse), Sanyo (Sanche), le meilleur guerrier de Pampelune, Saltan le meilleur guerrier des madjous et d'autres."

Saltan correspondrait au prénom scandinave Kjartan (Chartan).  La présence de païens aux côtés de chrétiens indique clairement qu'ils entretiennent des relations apaisées avec leurs partenaires. Les invasions n'ayant pas encore débuté, seul le commerce pourrait expliquer leur présence pacifique dans la région. 

836, Les Normands lancent l'offensive. Livre Noir de la Cathédrale de coutances, 836.

Prima Normanorum gravis sima persecutione, nequissimi scilicet et sacrilegi, Hasting suorumque praedatorumsaeviente amplius quam trigenta annis, ab anno Dominicae incarnationis DCCCXXXVI. 

La première persécution des Normands fut le fait du méchant et sacrilège Hasting, dont la violence prédatrice fit rage pendant plus de trente ans à partir de l’an 836."

836, Ermentaire se lamente.

"Lundi, 12° jour du mois d'avril de l'an de grâce 836, le bon Roi Pépin [Pepin Ier roi d’Aquitaine] régnant sur le Royaume des Francs. Cela fait déjà plusieurs années que les féroces Danois venus du nord sèment la désolation sur les côtes de notre province (L'Aquitaine a priori), et que notre beau monastère de Noirmoutier n'est plus à l'abri de leurs pillages et de leurs meurtres. Malgré les murailles que notre bon abbé a élevées à grands frais autour de notre moustier, nous savons maintenant que le saint corps de Filibert, qui repose en la crypte de notre église depuis sa mort, voici 152 années, n'est plus à l'abri d'une profanation. Toutes nos prières pour éloigner de notre demeure ces barbares n'ont servi à rien. Chacun d'entre nous aimerait savoir pourquoi le Seigneur nous envoie toutes ces épreuves... Chaque printemps, ces pillards sans foi ni dieu passent au large de notre île, dans leurs étranges vaisseaux, et remontent la rivière de Loire pour y répandre la terreur. Ces sauvages, lorsqu'ils attaquent une cité, sont si nombreux, que jamais nous ne pourrions leur résister si d'aventure ils tentaient l'assaut de notre retraite. Déjà, de nombreuses fois, ils ont débarqué dans nos anses, volé nos gens, et dérobé en nos églises les vases sacrés.Ermentaire.

Ce témoignage contemporain recèle plusieurs informations intéressantes. 

Cela fait déjà plusieurs années que les féroces Danois venus du nord sèment la désolation sur les côtes de notre province (L'Aquitaine a priori). Ainsi, l'auteur confirme que l'Aquitaine -et non la Neustrie- est la cible des premières visites des hommes du Nord.

Chaque printemps, ces pillards sans foi ni dieu passent au large de notre île, Dans ses récents travaux, l'historien Stephen Lewis explique que si les Danois s'intéressent à Noirmoutier, c'est pour le commerce du sel de Guérande. Or, Ermentaire signale que les flottes "passent au large", c'est-à-dire qu'elles continuent leur route vers le sud. Contrairement aux conclusions du chercheur, Noirmoutier n'est pas un terminus, mais une escale -contournable- vers une destination plus australe.

Ces sauvages, lorsqu'ils attaquent une cité, sont si nombreux, que jamais nous ne pourrions leur résister. Officiellement, les premières cités franques attaquées sont Rouen en 841 en France et Dorestad en 834 en Frise. Il est étonnant qu'Ermentaire fasse une généralité, alors que les attaques sont encore anecdotiques. Cela suggère soit que plusieurs attaques précoces sont inconnues de nous, soit qu'Ermentaire a écrit plusieurs années après les faits. Ce qui est plus probable.

De nombreuses fois, ils ont débarqué dans nos anses, volé nos gens, et dérobé en nos églises les vases sacrés.

Ermentaire ne parle pas d'assassinats ni de capture d'autochtones destinés à devenir des esclaves, ni de destruction définitive du monastère, il parle de rapines et de vols, des faits qui ne méritent pas d'être évoquées dans les sources officielles. Ce que décrit Ermentaire pourrait correspondre à des strandhögg, des "coups de rivage", c'est-à-dire de ravitaillements forcés. Dans le monde scandinave, la loi autorisait les marins accostant un rivage à faire usage de la force si les autochtones refusaient de les ravitailler. Si cela s'est sans doute passé ainsi à Noirmoutier, il ne s'agissait pas de "raids", mais simplement d'escales musclées. Certes, le "vol des vases sacrés" dépasse le simple ravitaillement. 

 

Les sources évoquant l'invasion de 840

L'ANNEE 840 DANS LES SOURCES GASCONNES.

Le Fragment de Lescar in Pierre de Marca, Histoire de Bearn, 1640, p.38.

Post obitum B. Galactorii episcopi et martyris extitit quædam gens Gundalorum, et destruxit omnes civitates Gasconiæ, et corpora sanctorum quæ invenit destruxit, et subvertit flammis et igne: has civitates quæ destructæ fuerunt fuit, Aquis, Lascuris, Oloren, Ecclesia Tarbæ, civitas Auxiensis, civitas Elicina, metropolitana, Cosorensi, Convenasi, Lactoren, Sotiense, Basatense, Laburdensi, et sedes Vasconiæ fuerunt in oblivione multis temporibus quia nullas episcopus in eas introivit.

 "Après la mort du bienheureux Galactoire, la nation des Gundales (gens Gundalorum) ruina toutes les cités de Gascogne (Gasconiæ), et détruisit par le feu les reliques des saints. Parmi les cités alors anéanties, notre texte nomme Dax (Aquis), Lescar (Lascurris), Oloron (Oleron), l’église de Tarbes (ecclesia Tarbæ), Auch (civitas Auxiensis), la métropole d’Eauze (civitas Elicina metropolitana), les sièges des diocèses de Couserans (Cosorensi), de Comminges (Convenasi), Sos (Sotiense), le diocèse de Bazas (Basatense) et celui de Labourd (Laburdensi). Ainsi, les sièges des évêchés de Gascogne (sedes Gasconiæ) demeurèrent longtemps dans l’oubli (in oblivione multis temporibus), car aucun évêque n’y pénétra."  

La Geste des Toulousains de Nicolas Bertrand (1515), reprenant un Cartulaire de Tarbes, disparu. In Alexandre Du Mège, Histoire générale du Languedoc, Tome 2, Notes, p. 70. 

« Une importante incursion normande [eut lieu] la vingt-huitième année du règne de Totilon, la quatrième année de l'indiction, où une éclipse de soleil s'est déroulée le 5 des nones de mai... [Il s'agit de l'année 840] A cette époque, les pays de Gascogne furent ravagés et anéantis. Les Danois traversèrent la mer avec de puissantes flottes et apportèrent la frayeur. Ils arrivèrent sur les rivages océaniques de la place forte de Bordeaux et jaillissant de leurs navires, ils recouvrirent, comme l’on dit, toute la surface de la terre. Les habitants de cette région ne purent résister à leur terrifiante intrépidité et à la sauvagerie de leur attaque. « Cette narration (Cartulaire de Tarbes disparu) assure que les Normands, après avoir raté leur entreprise sur Bordeaux, ruinèrent les cités de Gascogne : Bazas, Sos ou Aire, Lectoure, Dax, Tarbes, Bayonne, Oloron et Lescar "  

Muni de ces deux témoignages se recoupant sur une invasion de la Gascogne, Pierre de Marca écrit :

"L’ancienne Charte de Lescar […] tesmoigne que les Normans ruinerent les Douze Cités, de la Nouempopulanie’, et que ‘La veille Charte de Gascogne alleguée par Nicolas Bertrandi en l’histoire de Toulouse, se conforme à celle de Lascar; & rapporte que les Danois ruinerent les Cités de Gascogne,’ qu'il liste".

La charte de Lobaner, in les Chartes de Mont de Marsan

En 1810, l'Empire est à son apogée. Le château médiéval de Mont-de-Marsan est démoli pour laisser place à la ville moderne. Dans les fondations de la forteresse, on découvre cinq parchemins dont les découvreurs oublient de dire dans quel contenant ils se trouvaient. Ils avaient été rédigés et emmurés là lors de la dernière réfection du château en 1400. Trois de ces chartes étaient des copies d'actes de 1141, relatifs à la fondation de la cité du temps d'Aliénor. Une quatrième constatait la création de ces copies. La cinquième qui nous intéresse est plus ancienne. Il s'agissait de la copie d'une charte rédigée autour de l'an Mil -en 1012- à la demande du comte Lobaner. Elle résumait les écrits de Pierre, évêque de Dax, en poste en 840, date à laquelle se produisent les faits rapportés. Ce texte serait donc contemporain des événements, mais aurait pu être altéré lors d'une première transcription en 1012, puis d'une seconde en 1141, et d'une troisième en 1400. Il décrit une offensive scandinave qui débute au printemps 840 par une attaque avortée contre Bordeaux et se poursuit dans toute la Gascogne où les cités chutent les unes après les autres jusqu'à une ultime bataille à Mont-de-Marsan. Le Préfet Duplantier, qui supervise la démolition du château, récupère les documents. Cette charte copiée en 1400 fut aussitôt considérée comme authentique par le savant M. Ducourneau de Caritz, mais certains s'étonnèrent que les chartes aient été écrites par une même main (ce qui est pourtant logique puisqu'elles ont toutes été recopiées en 1400). Certains conclurent à l'oeuvre d'un faussaire et accusèrent le préfet Duplantier d'en être l'auteur. Le Préfet préfèra ne pas insister ce qui fut considéré comme un aveu de culpabilité par ses accusateurs. Les années 1810 étaient dominées par les combats des troupes napoléoniennes en Espagne et les chartes furent oubliées. Elles disparurent pendant trois décennies jusqu'à ce qu'on les retrouve dans une armoire de l'Hôtel de ville en 1841. Leur étude reprend et de nouveau, on s'enthousiasme pour ces écrits. Mais en 1861, Jean-François Bladé1, toujours lui, érudit fantasque et farouche adversaire d'une quelconque invasion scandinave, inconnu et soucieux de se faire un nom, prend sa plus belle plume et démontre que le document est un faux. L'analyse de Bladé est cinglante. Le style du texte est douteux et le mystificateur commet des erreurs grossières. Le texte parle de "consuls" de la ville alors qu'en Gascogne, on les nommait "jurats". Le document évoque les "Monts ibériens" pour désigner les Pyrénées et les "Nordhoms" pour qualifier les Normands, des termes jamais utilisés par ailleurs. Bladé affirme détenir la preuve de la falsification : le faussaire commet une erreur grossière en plaçant l'embouchure de l'Adour à Capbreton, alors qu'elle se trouvait à Bayonne selon un "passage authentique" (sic) de la Légende de Saint Léon. "De ce dernier document il résulte , à n'en pas douter, que les pirates avaient un poste dans cette ville [...] Or, les habitudes des anciens Normands sont connues ; c'était à l'entrée des fleuves qu'ils établissaient leurs campements [...] Si les bourreaux de saint Léon étaient établis à Bayonne, c 'était bien par là que le fleuve se déversait dans la mer [...] “. La "démonstration" est imparable... La "démonstration magistrale" de Bladé emportera l'adhésion de tous ceux qui refusaient de considérer une éventuelle invasion. En 2018, Alban Gautier était convaincu par son illustre collègue : "Pour être allé lire la démonstration, j'y vois pour ma part l'effet de la solidité (sic) des conclusions de Jean-François Bladé! En écrivant cela, je ne me réfugie pas paresseusement derrière un argument d'autorité, je reconnais la qualité du travail (sic) accompli par un prédécesseur sur lequel je me fonde pour travailler à mon tour".2 En 2021, Stephen Lewis est à son tour, et sans surprise, convaincu... On sait aujourd'hui que l'embouchure de l'Adour se trouvait bien à Capbreton jusqu'au 14e siècle. Le mystificateur de 1810 disait vrai.

Par ailleurs, Bladé dans son argumentation maladroite se réfère à un "passage authentique" de la Légende de Saint Léon mentionnant la "présence d'un poste normand" à Bayonne en 892, un demi-siècle après l'invasion de 840. Quel genre de poste ? D'où sortaient ces Scandinaves ? S'agissait-il de Madjous ? Bladé n'en a aucune idée et ne cherche pas à le savoir. Quant à Stephen Lewis, il préfère ne pas suivre Bladé sur ce point : " Je suis obligé de conclure qu'il n'y a tout simplement aucune preuve fiable d'une présence significative et de longue durée des hommes du Nord à Bayonne".3

La démonstration de Bladé ne peut convaincre que les convaincus. Lewis, comme son collègue Alban Gautier avant lui, considère que Bladé est un auteur "crédible" et que son diagnostic historique a définitivement discrédité cette charte. Pour nous, il s'agit d'une Tartufferie.

D'autant que cette charte évoque deux informations capitales que personne n'a relevées. La première concerne la provenance des assaillants : les assaillants ne seraient pas venus de Scandinavie, mais de la côte gasconne. Le texte parle de "Ceux dont les vaisseaux étaient dans la baie de Mimisan" et de " ceux qui étaient à l'extrémité des terres". Ces deux groupes sont localisés pour l'un à Mimizan dans le Pays de Born, pour l'autre dans le Médoc. Si l'évêque de Dax connait leur origine géographique, c'est probablement parce que ces sites étaient entre leurs mains de longue date. Le texte stipule d'ailleurs que les païens " s'emparèrent des bayes à l'extrémité des terres et de Mimisan parce qu'on ne reçut pas de secours des auxiliaires d'Aquitaine". En d'autres termes, si on avait reçu les secours des "auxiliaires d'Aquitaine" -troupes basées sur la rive droite de la Garonne-, on aurait pu empêcher les hommes du Nord de s'emparer de ces terres. Cela suggère bien qu'on savait qu'ils disposaient là de bases, et qu'il aurait été possible de les empêcher de s'emparer de la région. Ce texte dit clairement que les conquérants de la Gascogne ne venaient pas de Scandinavie, mais étaient installés sur les côtes de la région. Il s'agit a priori des madjous évoqués par Ibn Al Athir en 795. L'autre élément surprenant est celui-ci : " ils se séparèrent en deux troupes, assaillirent Benarna (Lescar) et Ituram (Oloron), après avoir livré combat aux vicomtes de Dax, Tartas et Béarn et introduit des auxiliaires dans les monts ibériens." Les Normands auraient "introduit des auxiliaires dans les monts ibériens." C'est logique: les Madjous du Pays basque étaient des commerçants et ils regardaient les cols pyrénéens comme des accès vers la riche Espagne et la Méditerranée.

Or, ces deux éléments : leur origine côtière et leur intérêt pour les "monts ibériens" sont totalement contraires à l'idée qu'on se fait des Vikings en 1810. Depuis toujours on répète que les Vikings sont des pillards qui viennent de Scandinavie pour des raids saisonniers et qu'ils se contentent de ravager les berges des fleuves. "Sans son bateau, le Viking n'existe pas" écrivait Régis Boyer. En expliquant qu'ils ont des bases sur la côte et s'intéressent aux Pyrénées, le chroniqueur donne des informations que même Pierre Bauduin en 2021 ne peut pas croire. Pourquoi un escroc de 1810 aurait-il inventé deux informations tellement contraires au discours officiel ? L'objectif d'un escroc est d'être cru. Or, l'auteur de la charte de Lobaner donne des informations incroyables. Soit c'est un escroc complètement stupide qui n'a pas l'ambition d'être cru, soit la charte décrit une part de la réalité.

Personnellement, nous considérons cette charte de Lobaner comme une source recoupant la Gesta Tholosarum et le Fragment de Lescar. On notera que la charte date précisément l'invasion :"Item. Et comme l'empereur Charles fut venu de vie à trépassement, les Normands vinrent en Aquitaine et apparurent le Premier avril, en l'année de l'incarnation huit cent quarante, avec un si grand nombre de vaisseaux et d'hommes que dire ne se peut." Il est intéressant de noter que le "faussaire" parle de la mort de Charlemagne, disparu en 814 et non de celle de Louis le Pieux en 840. Un élément de plus qui pourrait "discréditer" son témoignage aux yeux d'un censeur pointilleux. Mais pas autant que la date choisie par le facétieux faussaire : le premier avril!

1Jean-François Bladé, "Pierre de Lobaner et les quatre chartes de Mon-de-Marsan", Paris Dumoulin, 1861.

2Alban Gautier, "Une principauté viking en Gascogne, à propos d'une imposture", Annales de Normandie, 2018, p. 181.

3Cf note 2

La chronique d'Auch

"Les Normands apparaissent devant Bordeaux en septembre 841 ou 843. Ils assiègent la ville, mais (un coup de vent pousse leur flotte en amont du fleuve). Ils prennent Bazas, puis Condom et Sos. Lectoure se rend mais ses habitants sont massacrés. Auch est ravagé également. Ils affrontent Totilon devant Dax et l'écrasent. La Gascogne est à eux. Ils s'emparent de Labour, Oléron, Lescar. Totilon avec des Gascons des montagnes vient de nouveau les affronter.  Il est de nouveau écrasé et réussit une nouvelle fois à s'enfuir. Tarbes n'avait pas encore été prise, mais son évêque abandonna la ville. Ils prennent la ville et la rase. Ils se retirent avec butin et prisonniers. Totilon mobilise une nouvelle fois les Gascons et les affronte. La poursuite dure trois jours jusque sur les bords de la Garonne (?). Totilon restaure le pays et fortifie Auch."

L'ATTAQUE DE 840 DANS LES SOURCES FRANQUES

La Chronique de Tours in Histoire de la cathédrale de Coutances, 1904, p. 22.

Lotharii imperatoris anno primo, Hastingus cum innemura Danorum multitudine Franciam ingressus, oppida, rura, vicos, ferro, flamma, fame depopulatur. 

"La première année du règne de Lothaire (840), Hastingue (Hastein), suivi d’une multitude de Danois, entra en France et ravagea par le fer, la flamme et la faim, les forteresses, les bourgs, les bourgades."

Cette chronique décrit une attaque majeure mettant en scène Hastein menée en France en 840. Or, la première attaque mentionnée par les Annales de Saint Bertin est celle menée par Asgeir contre Rouen en 841. 

Robert Wace, Roman de Rou, 1170.

"Hasting ravagea tant en Flandres qu’en Gascuigne... Il n'y eut pas de ville prise par Björn qui ne fut ravagée par Hasting »

Mention d'autant plus remarquable que les sources franques n'évoqueront jamais la Gascogne. On voit que Björn et Hastein combattent au nord et au sud de la Loire, n'en déplaise aux historiens qui affirment que seuls les faits et gestes des  "Danois" au Nord de la Loire étaient dignes d'intérêt. 

La Chronique de Fontenelle.  Chronicon Fontanellense, dans Dom Bousquet, VII, 40-43.

 En 851, « Une flotte de Normands entra sur la Seine le 3 des ides d’octobre [le 13 octobre], sous la conduite d’Asgeirr qui, quelques années auparavant, c’est-à-dire en 841, avait dépeuplé et incendié la ville de Rouen, occupé onze années durant de nombreuses régions, non sans les piller. Parmi celles-ci la ville très bien défendue de Bordeaux. ».

Selon le médiéviste Frédéric Boutoulle, cette charte ferait remonter l'attaque contre l'Aquitaine à l'année 840. 

841, les Annales de Saint Bertin.

Pyratae Danorum ab Oceano euripo deuecti Rotumum irruentes, rapinis, ferro ignique bacchantes urbem, monachos reliquumque uulgum uel cedibus uel captiuitate pessumdederunt et omnia monasteria seu quaecumque loca flumini Sequanae adherentia aut depopulati sunt aut multis acceptis pecuniis territa reliquerunt".1

Stephen Lewis reprend la traduction de Janet Nelson2: " Les pirates danois descendirent la Manche et attaquèrent Rouen, ravagèrent la ville par le pillage, le feu et l'épée, massacrèrent ou firent prisonniers les moines et le reste de la population, et mirent à sac tous les monastères et autres lieux le long des rives de la Seine, ou bien prirent des paiements plus importants et les laissèrent complètement terrifiés."3 Stephen Lewis constate : " Janet Nelson traduit le terme ab Oceano euripo par "en descendant la Manche", ce qui signifie que ces "pirates" ont navigué "en bas" du détroit de Douvres, que les Français appellent le détroit du Pas-de-Calais. Simon Coupland est du même avis et affirme qu'ils venaient de la "mer du Nord".4 Nous avouons notre perplexité devant cette traduction qui permet à Stephen Lewis -mais aussi à Janet Nelson et Simon Coupland- de faire venir les pirates du Nord de l'Europe.

Rouen est dans la Manche et la Manche a deux entrées. Au nord sur la mer du Nord, c'est le détroit du Pas-de-Calais, à l'ouest, c'est l'ouverture océanique entre Cap Finistère et Cap Lizard. "Oceano euripo" se traduit littéralement par le "détroit de l'Océan". Il désigne de manière incontestable le passage par l'ouest5. Contrairement à ce qu'affirme Janet Nelson, ce texte dit que les Vikings sont venus de l'ouest et non du Nord. Stephen Lewis pourtant si attentif aux traductions approximatives de Renée Mussot-Goulard se montre d'une mansuétude remarquable avec celle de Janet Nelson. Peut-être parce que cette traduction l'arrange. Si la flotte vient de l'ouest, elle a deux provenances probables: l'Irlande ou l'Aquitaine. Or, la chronique de Fontenelle suggère que l'Aquitaine a été attaquée dans sa partie inférieure -la Novempopulanie, autre nom de la Gascogne- par Asgeir lui-même dans les onze année précédent l'attaque de 851. Nous considérons que Chronique de Fontenelle et les Annales de Saint Bertin indiquent clairement qu'Asgeir venait de l'ouest, logiquement de Novempopulanie où il aurait opéré avant 841, ce qui constituerait un premier élément "recoupant" l'invasion supposée mythique de la Gascogne en 840. Le simple fait que Stephen Lewis choisisse de ne pas voir cette information capitale donnée par des sources qu'il considère fiables et accepte la traduction contestable de Janet Nelson questionne sur l'objectivité de son travail. A la différence de Janet Nelson qui ignorait l'existence d'une possible invasion de la Gascogne en 840 et donc allait naturellement faire venir Asgeir du Nord, Stephen Lewis était parfaitement au courant de cette possibilité, il avait donc les moyens de questionner cette traduction ce qu'il s'empresse de ne pas faire.

1Annales Bertiniani, 841.

2Traduction Janet Nelson, Charles the Bald, p.50.

3 Danish pirates sailed down the Channel and attacked Rouen, plundered the town with pillage, fire and sword, slaughtered or took captive the monks and the rest of the population, and laid waste all the monasteries and other places along the banks of the Seine, or else took larger payments and left them thoroughly terrified

4The term ab Oceano euripo is translated by Janet Nelson as ‘down the Channel’, by which she means that these ‘pirates’ had sailed ‘down’ through the strait of Dover, what the French call le détroit du Pas-de-Calais. Simon Coupland agrees, saying they came from the ‘North Sea" Lewis, p. 85

5Si l'épisode s'était déroulé en Frise, on aurait pu admettre qu'Oceano euripo désignait bien le détroit du pas de Calais, en effet, il fallait franchir ce détroit pour atteindre l'océan. Mais en l'occurrence, l'auteur parle de la Seine et Ocean euripo ne peut en aucun cas désigner le passage vers la mer du Nord d'autant qu'à l'opposé on a bien un détroit de l'Océan.

LA PRESENCE SCANDINAVE DANS LES SOURCES GASCONNES.

Le Cartulaire de Bigorre. in Jean Justin Monlauzun, l'Histoire de la Gascogne, tome VI, p. 310.

"Surprise la première, la cité de Bazas ne fut bientôt qu'un monceau de ruines et de cendres... Ensuite, ne trouvant plus d'obstacles, ces barbares se dirigent vers le "château de Sore", livrent bataille aux habitants de cette cité; les taillent en pièces et les passent au fil de l'épée. Ils rasent jusqu'au niveau du sol tous les édifices de cette ville; y allument le feu qui les consume tous... Non seulement ils exterminèrent par l'épée et la faim les hommes, mais ils démantelèrent les tours et les murs de défense, livrèrent aux flammes basiliques, oratoires, les plus humbles chapelles, renversèrent les autels, profanèrent les tombes des saints et dispersèrent leurs ossements.  En un mot conclut le chroniqueur « Telle fut la désastreuse confusion de tout le pays des Basques (Vaccoeorum) qu’on ne peut comparer qu’à l’extermination de Jérusalem et de la Judée au temps des Machabées et du cruel Antiochus. »

La Chronique de Bazas  in Monographie de 1875, extraits des « Archives historiques du département de la Gironde, tome 15.  

 « Les destructions commises par ce peuple des plus barbares qu’on appelle vulgairement Normands, transformèrent presque toute la Gascogne en un désert total, après que les paysans eurent été tués ou chassés. » 

Lettre des moines de La Réole adressée au pape en 1046, lettre conservée dans le cartulaire de l’abbaye.

« Le monastère de Saint Pierre de La Réole a été détruit par les Normands, qui, étant entrés dans les terres, dévastaient cités et places fortes par le glaive et par le feu. »

La Chronique de Guîtres est une compilation anonyme dont on connait deux versions écrites aux XVe et XVIe siècles

"Lorsque plus tard, les Goths et les Normands arrivèrent par mer sur des embarcations et remontèrent jusqu'ici, ils livrèrent cette île à une dévastation complète et, pénétrant par plusieurs ports, ils couvraient l'honor de Fronsac et le territoire compris entre l'Isle et la Dordogne, comme une nuée de sauterelles (invasion); ils rasèrent les fortifications et en élevèrent de nouvelles (occupation du territoire). Enfin une troupe innombrable de gens du pays de Sciorac, de Mayac, et de Fronsac se réunirent en un seul corps, les poursuivant à la pointe de l'épée jusqu'au port du Carney (libération). C'est de la proximité du lieu où ils furent exterminés que ce port a pris le nom de Carney."

LA PRESENCE SCANDINAVE DANS LES SOURCES NON GASCONNES.

André de Bergame (v. 830-897) écrit à propos de la bataille de Fontenoy en Puisaye qui se déroula en 841 :

... facta est strages magna, maxime nobiles Aquitanorum [...] unde sic discipata est nobilitas Aquitanorum, quae etiam Nortemanni eorum possedant terrae, nec est qui eorum fortia resistat.

« ... Un grand massacre fut fait, spécialement parmi les nobles d’Aquitaine […]. Jusqu’à ce jour, la noblesse d’Aquitaine est si ravagée que les Normands s’emparent de ses terres et qu’elle n’a pas la force de leur résister. » 

L'Aquitaine n'est pas à proprement parler la Gascogne, mais lorsque le chroniqueur italien évoque l'accaparement des terres et l'incapacité des nobles d'Aquitaine à leur résister, il décrit clairement une invasion revêtant une dimension politique. Or, la Charte de Lescar précise : "Les Gascons restèrent longtemps dans l’oubli car aucun évêque n’y fut plus nommé." Cette élimination des évêques de Gascogne signifie clairement que les hommes du Nord ont des ambitions territoriales et politiques en Gascogne.

On sait que les attaques cessent en Aquitaine vers 865. L'historiographie en déduit que les Vikings se sont détournés de l'Aquitaine. Or, pourquoi des Vikings victorieux et invaincus, abandonneraient-ils un terre sur laquelle ils se battent depuis trois décennies ? Ces colons n'auraient pas perçu le potentiel agricole et économique de cette terre, considérée en son temps comme la plus belle province de l'Empire romain ? C'est absurde. Il y aurait une autre explication à la fin -relative- des combats en Aquitaine : ils en sont les maîtres. C'est clairement ce que suggèrent les témoignages contemporains. Or, ces témoignages sont en contradiction avec le cliché du "pillard itinérant". Le rôle de l'historien est de détruire les clichés. 

Adrevald de Fleury auteur  de Miracula Sancti Benedicti (11e) 

Quid Aquitanicae gentis ingentem referam afflictationem, quae olim bellorum nutrix, nunc frigidam bello praeferat dextram, suisque orbata luminibus, ducibus egeat aliensis? Etenim ipsa quoque optimos quosque genitalis soli in sese elidens, patet nunc praeda gentibus aliensis. Ab ipso quoque, ut ita loquar, Oceani littore, orientem versus, Avernam usque, clarissimam veteri tempestate Aquitaniae urbem, nulla libertatem retinere valuit regio, non oppidum aut vicus, non denique civitas quae non strage ferali conciderit paganorum.

"Que dire d’immense souffrance du peuple d’Aquitaine qui, autrefois pourvoyeur des guerres, fournit maintenant à la guerre une main languissante et, privé de ces élites, a besoin de chefs étrangers ? En effet, après avoir écrasé en lui-même les meilleurs des hommes de son sol fécond, il s’offre maintenant comme une proie aux nations étrangères. Du littoral même de l’Océan, pour ainsi dire, et vers l’Est, jusqu’à Clermont, autrefois très illustre ville d’Aquitaine, aucune région ne put conserver sa liberté, aucune place forte, aucun village, pas une seule cité qui ne tombât sous le massacre sauvage des païens

Guillaume de Jumièges. 

« Ayant détruit elle-même les plus braves rejetons de son sol, elle fut alors livrée en proie aux races étrangères […]. Nul pays ne fut en état de conserver sa liberté, et il n’y eut aucun château, aucun village, aucune ville enfin qui ne succombât, à la suite d’un massacre, sous les coups des Païens. »

Difficile à la lecture de ces sources de partager l'opinion de Lucien Musset, le grand théoricien des Vikings qui écrivait en 1970 : « Les raids norvégiens au sud de la Manche, pures entreprises de piraterie, n’ont pas laissé de traces durables, sur la Loire, la Garonne ou le golfe de Gascogne ». Ces textes ne décrivent pas des raids de pirates, mais une invasion. Une invasion qu'aucun historien n'a jamais pris le temps d'étudier, ni même d'envisager.

Adhemar de Chabannes in J. Lair, Études critiques, p. 204; R. Landes in Ademari Cabannensis Chronicon, ed. Bourgain, ‘Annexe’, p. 12.

Et sicut antiqui parentes earum pagani, Aquitanica rura depopulati sunt, ita et isti mixtim Christiani mixtim pagani, nostros vicos castella et civitates conati sunt flammis conburere et populum Christianum ferro diverberare et captivare, et ecclesias Dei et monasteria desertare.

Parlant d'attaques en 1020, Adhemar rappelle que "comme du temps de leur ancêtres païens, les contrées d'Aquitaine furent dépeuplées". 

La saga de Ragnar, in Jean Renaud, La Saga de Ragnar Lodbrok, Anarchasis, 2005, p.57

Björn déclame : « C’était la première fois que nous attaquions l’empire des Romains, nous avons joué aux jeux de Freyr et affronté bien des ennemis ; là, j’ai tiré mon épée par-dessus le museau de mon cheval ; l’aigle glatissait sur les morts du champ de bataille. » 

Cette mention ne concerne pas l'Aquitaine, mais elle est intéressante. Björn indique clairement qu'il combattait à cheval. Or, un des clichés les plus répandus dans le monde de la recherche et largement popularisé par le grand Régis Boyer est que les vikings ne combattaient pas à cheval

La charte de Lobaner, une source qui fait débat

En 1810, le château médiéval de Mont-de-Marsan est démoli. Dans ses fondations, les ouvriers découvrent cinq parchemins. Trois décennies plus tard, on retrouve par hasard quatre de ces textes au fond d’une armoire à l’Hôtel de ville. Ils sont publiés en 1843 suscitant un vif intérêt, mai aussi un débat. Rédigés en 1400, date à laquelle ils ont été emmurés, ces actes notariés sont relatifs à la fondation de la cité. Ils sont des copies d’actes, la plupart datés de 1140.  Un des quatre textes est plus ancien encore. Il remonte à l’année 1012. Il aurait été rédigé à la demande de Pierre de Lobaner, vicomte de Marsan d’après les notes d’un évêque de Dax, témoin de l'invasion de la Gascogne. Ce texte relate la destruction en 840 de la cité de Marsan par les païens venus du Septentrion, les Nord-Homs. Ces chartes furent étudiées par les plus grands spécialistes et très vite authentifiées. Cependant, dès 1846, l’abbé Jean Justin Monlezun, auteur d’une Histoire de la Gascogne, doute de leur authenticité. Les Vikings sont réputés être des pillards, pas des conquérants. Le débat fait rage. En 1861, Jean-François Bladé les declare être des faux. Son verdict, vieux de cent-cinquante-six ans, fait toujours autorité aujourd’hui. Voilà un extrait de la charte de 1012, que par commodité nous nommerons la charte de Lobaner. Après avoir évoqué Charlemagne et Ronceveaux, le texte décrit l’invasion de la Gascogne.

Extrait mont de marsan

 « … Les Nord-homs vinrent en Aquitaine et apparurent le 1er avril, en l’année de l’incarnation 840, avec tant de vaisseaux et tant d’hommes que dire ne se peut, et tous ensemble, ils tentèrent un coup de main sur Burgundia (Bordeaux)… Après trois combats dans les sables de la mer, ils les poursuivirent jusqu’au moment où les Normands regagnèrent leurs vaisseaux, mais ils se portèrent en toute hâte sur les côtes de la Vascogne, s’emparèrent des bayes à l’extrémité des terres et de Mimisan parce qu’on ne reçut pas les secours des auxiliaires d’Aquitaine. Le 3 du mois (de mai), ceux de Finibus Terrae (la pointe de Graves, presqu´île d’Arvert) se portèrent sur le château de Lampurdum (Bayonne) ; le cinquième jour, ils le prirent d’assaut et firent périr tout, hommes, femmes et enfants.  Le huitième jour, la cité antique de Aquis (Dax) fut assiégée et prise d’assaut.  Le douzième jour, les cités de Pee de Doxo (Tartas), Sopraossa (Souprosse) et les châteaux voisins furent également assiégés et détruits… Le 20 du mois, ils se séparèrent en deux troupes. Les uns assaillirent Benarna (Lescar) et Ilurum (Oloron)… après avoir introduit des auxiliaires dans les monts Ibériens.  Les autres assiégèrent le Palestro (château de Palestrion à Saint-Sever) et  la ciutatz de Adurenses (Aire-s/Adour) où ils se baignèrent dans le sang… Ceux dont les vaisseaux étaient dans la baie de Mimisan (aujourd’hui le lac d’Aureilhan) assaillirent dans le courant du mois de mai les cités d’Arjusanx, Sero  (Sore), Boha-los Ayres (Labouheyre), Bernardo(?), Eyros (Eyres-Moncube), où, comme les premiers, ils détruisirent tout… Ensuite les Vasates soutinrent trois combats où ils furent défaits et leur cité (Bazas) prise de 10 du mois de juin…  Puis revenant dans les Landes, ils assiégèrent le castel de Lebregts (château de Labrit), et avec ceux qui étaient à l’extrémité des terres, ils se présentèrent devant la ciutatz de Marsan (Mont-de-Marsan)... Les deux troupes en firent le siège le premier du mois d’Août 840… Le dixième jour, leurs vaisseaux furent incendiés, plus de cinq mille des leurs furent tués par le fils aîné de Deodatz qui avait fait une sortie dans la campagne avec les troupes assiégées… Mais, à la fin, ils prirent la ville, en abattirent les murs et jetèrent les pierres dans la Douze et les champs voisins et en signe de destruction, ils firent passer la charrue avec les bœufs sur le sol ». Après cette relation détaillée, le texte conclut : « … et comme ils ne pouvaient plus tenir en Vascogne, la plus grande partie des incendiaires retourna à Finibus Terres… Après le départ des incendiaires, la Gascogne fut comme de coutume ».

Ce texte correspond à la source inconnue citée par Nicolas Bertrand dans la Geste des Toulousains en 1515. Le faussaire aurait pu forger ce texte à partir de la Geste des Toulousains. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il contient des anachornismes. Le "château de Lebregts" désigne le château de Labrit. Archéologiquement, le site ne semble pas avoir existé au 9e siècle et nous estimons que le nom révèle une fondation scandinave. Il est possible que le copiste -devant un nom qu'il ne connaissait pas l'ait rapproché d'un nom connu. C'est assez logique et ne signifie en aucun cas qu'il est un faussaire. Idem pour Mimizan qui, à notre avis, porte un nom d'origine scandinave. Les Vikings n'ont pas pris ce bourg mais l'ont fondé.

Le texte dit qu’ils venaient de Finibus Terrae. La toponymie confirme que les principaux chefs étaient bien présents dans le Médoc et dans la presqu’île d’Arvert. Il nous dit qu’ils avaient une base à Mimizan. Les vestiges de fortifications portant les noms des principaux chefs vikings confirment l’existence de cette base. Il dit qu’ils envoyèrent des « auxiliaires dans les monts ibériques ». Les Vikings étaient effectivement avant tout intéressés par les cols pyrénéens, voies d'accès à l'Espagne et au commerce méditerranéen. Les 5000 morts de la bataille de Marsan –incroyables si on considère que les Vikings font des raids saisonniers depuis la Scandinavie- ils sont parfaitement crédibles lorsqu’on sait que l’offensive est menée par des troupes basées en Gascogne fréquentée depuis 795 en avant. Enfin, le seul argument textuel trouvé par Jean-François Bladé pour démontrer la « forgerie », c’est la mention que l’Adour avait son embouchure à Capbreton alors que selon l’historien, elle se trouvait déjà à Bayonne. Manque de chance pour l’historien, l’Adour n'a pas eu d'embouchure à Bayonne avant 1578… L'Adour avait bien son embouchure à Capbreton. Le « faussaire » avait raison… Au final, ce « faussaire » a bien mieux cerné la réalité de la conquête de la Gascogne que les générations d’historiens qui l’ont suivi.  Ce faussaire est soit un génie, soit un témoin fiable...

Quant à Jean-François Bladé -cet historien de référence- voilà ce qu'en disait la notice le concernant sur Wikipedia avant d'être "remaniée" avec pudeur.  « Dès ses débuts, Bladé a provoqué et entretenu la polémique. Sa réputation mitigée, tantôt louangeuse, tantôt extrêmement critique, a perduré jusqu'à nos jours. Au niveau historique, il ne dépasse plus le statut d'un « érudit local », et ses études et théories sont maintenant totalement obsolètes. » Bladé « ne cesse d’être un mystificateur notoire, farceur, toujours remarquable conteur et un polémiste redoutable dont l’ironie cinglante n’épargne pas ses nombreux adversaires. » (Wikipedia)

Admettre le jugement scientifique d'un tel personnage en dit long sur le sérieux avec lequel a été étudiée l'histoire de la Gascogne. 

Les Annales de Saint Bertin.

Les Annales de Saint Bertin ne disent pas grand chose de la Gascogne, par contre, elles évoquent à une quinzaine de reprise la présence des Vikings en Aquitaine.

841: Ob oceano euripo, in Annales de Saint Bertin.

Pyratae Danorum ab Oceano euripo deuecti Rotumum irruentes, rapinis, ferro ignique bacchantes urbem, monachos reliquumque uulgum uel cedibus uel captiuitate pessumdederunt et omnia monasteria seu quaecumque loca flumini Sequanae adherentia aut depopulati sunt aut multis acceptis pecuniis territa reliquerunt".1

Stephen Lewis reprend la traduction de Janet Nelson2: " Les pirates danois descendirent la Manche et attaquèrent Rouen, ravagèrent la ville par le pillage, le feu et l'épée, massacrèrent ou firent prisonniers les moines et le reste de la population, et mirent à sac tous les monastères et autres lieux le long des rives de la Seine, ou bien prirent des paiements plus importants et les laissèrent complètement terrifiés."3 Stephen Lewis constate : " Janet Nelson traduit le terme ab Oceano euripo par "en descendant la Manche", ce qui signifie que ces "pirates" ont navigué "en bas" du détroit de Douvres, que les Français appellent le détroit du Pas-de-Calais. Simon Coupland est du même avis et affirme qu'ils venaient de la "mer du Nord".4 Nous avouons notre perplexité devant cette traduction qui permet à Stephen Lewis -mais aussi à Janet Nelson et Simon Coupland- de faire venir les pirates du Nord de l'Europe.

La Manche, comme toutes les manches, a deux entrées. Au nord sur la mer du Nord, c'est le détroit du Pas-de-Calais, à l'ouest, c'est l'ouverture océanique entre Cap Finistère et Cap Lizard. "Oceano euripo" se traduit littéralement par le "détroit de l'Océan". Il désigne de manière incontestable le passage par l'ouest5. Contrairement à ce qu'affirme Janet Nelson, ce texte dit que les Vikings sont venus de l'ouest et non du Nord. Stephen Lewis pourtant si attentif aux traductions approximatives de Renée Mussot-Goulard se montre d'une mansuétude remarquable avec celle de Janet Nelson. Peut-être parce que cette traduction l'arrange. Si la flotte vient de l'ouest, elle a deux provenances probables: l'Irlande ou l'Aquitaine. Or, la chronique de Fontenelle suggère que l'Aquitaine a été attaquée dans sa partie inférieure -la Novempopulanie, autre nom de la Gascogne- par Asgeir lui-même dans les onze année précédent l'attaque de 851. Nous considérons que Chronique de Fontenelle et les Annales de Saint Bertin indiquent clairement qu'Asgeir venait de l'ouest, logiquement de Novempopulanie où il aurait opéré avant 841, ce qui constituerait un premier élément "recoupant" l'invasion supposée mythique de la Gascogne en 840. Le simple fait que Stephen Lewis choisisse de ne pas voir cette information capitale donnée par des sources qu'il considère fiables et accepte la traduction contestable de Janet Nelson questionne sur l'objectivité de son travail. A la différence de Janet Nelson qui ignorait l'existence d'une possible invasion de la Gascogne en 840 et donc allait naturellement faire venir Asgeir du Nord, Stephen Lewis était parfaitement au courant de cette possibilité, il avait donc les moyens de questionner cette traduction ce qu'il s'empresse de ne pas faire.

1Annales Bertiniani, 841.

2Traduction Janet Nelson, Charles the Bald, p.50.

3 Danish pirates sailed down the Channel and attacked Rouen, plundered the town with pillage, fire and sword, slaughtered or took captive the monks and the rest of the population, and laid waste all the monasteries and other places along the banks of the Seine, or else took larger payments and left them thoroughly terrified

4The term ab Oceano euripo is translated by Janet Nelson as ‘down the Channel’, by which she means that these ‘pirates’ had sailed ‘down’ through the strait of Dover, what the French call le détroit du Pas-de-Calais. Simon Coupland agrees, saying they came from the ‘North Sea" Lewis, p. 85

5Si l'épisode s'était déroulé en Frise, on aurait pu admettre qu'Oceano euripo désignait bien le détroit du pas de Calais, en effet, il fallait franchir ce détroit pour atteindre l'océan. Mais en l'occurrence, l'auteur parle de la Seine et Ocean euripo ne peut en aucun cas désigner le passage vers la mer du Nord d'autant qu'à l'opposé on a bien un détroit de l'Océan.

843 : "Des pirates Normands arrivés dans la ville de Nantes, après avoir tué l’évêque et beaucoup de clercs et de laïcs sans distinction de sexe et avoir pillé la ville, allèrent dévaster les parties inférieures de l'Aquitaine; enfin arrivés dans une certaine île, ayant fait venir de la terre, ils firent des maisons pour hiverner, et s'y établirent comme en une perpétuelle demeure." 

Ce texte n'évoque pas des raids, mais un installation "comme en une perpétuelle demeure". 

844« Les Normands s’étant avancés par la Garonne jusqu’à Toulouse, pillèrent impunément le pays de tout côté. ».

Cette remontée de la Garonne jusqu'à Toulouse, pourtant assiégée par Charles le Chauve depuis le mois de mai, montre que les Vikings n'ont pas peur d'affronter le roi de Francie pourtant à la tête de ses armées. Début juillet, le roi abandonne le siège  et fuit devant l'avancée des Normands. Ceux-ci profitent du passage de la flotte pour faire traverser la Garonne à leurs troupes massées sur la rive gasconne depuis 840. Les Scandinaves investissent la Massif Central et Charles le Chauve, persuadé qu'ils cherchent à le couper de ses arrières, est pris de panique. Ils envahissent l'Aquitaine

845 "les Danois qui l'année passée ont dévasté l'Aquitaine  reviennent en arrière, envahissent Saintes, combattent, prennent le dessus et s'installent tranquillement."

Le texte parle de "dévastation de l'Aquitaine" -c'est-à-dire la rive droite de la Garonne- pas de raids contre des monastères.  Lorsqu'il ajoute qu'ils "s'installent tranquillement", il nous confirme qu'après avoir pris la Gascogne en 840, ils occupent la Saintonge en 845. 

Le comte Sigoin est capturé et tué par les Normands ; la ville de Saintes est incendiée, ses plus beaux trésors emmenés. Chronique d’Aquitaine, Chronicon Aquitanicum, MGH, SS,II,p.253.

847: « Les Danois se jetèrent sur les côtes de l'Aquitaine et les dévastèrent; ils attaquèrent longtemps la ville de Bordeaux ».

Encore une fois, le chroniqueur n'évoque pas de simples raids de pillage, mais de dévastation et du siège d'une des plus puissantes cités de la Chrétienté. Bordeaux est la première cité assiègée par les Hommes du Nord en Europe. C'est évidemment un acte éminemment politique. 

"Des envoyés d'Abderrahmane, roi des Sarrasins, vinrent à Charles, de Cordoue en Espagne, pour lui demander de confirmer leur paix et alliance."

Cette ambassade fait suite à l'attaque menée contre Séville en 844. L'émir a identifié ses agresseurs comme venant de Gascogne et cherche à nouer une alliance défensive avec Charles confronté au même ennemi.

848: "Charles vient à  la rencontre des Normands qui attaquaient Bordeaux et remporte vaillamment sur eux la victoire... Les Danois, par la trahison des juifs d'Aquitaine, prennent la ville de Bordeaux, la dévastent et la brûlent. Les Aquitains, forcés par la mollesse et l'inertie de Pépin, s'adressent à  Charles, et presque tous les plus nobles du pays réunis dans la ville d'Orléans avec les évêques et les abbés le choisissent pour roi... Les Normands dépeuplent le bourg de Melle et le livrent aux flammes...Guillaume, fils de Bernard, s'empare plus par ruse que par force d'Ampurias et de Barcelone."

La prise de Bordeaux est un tournant dans les invasions. Après avoir été lâché par Lothaire, Pépin est lâché par les Grands d'Aquitaine. Sans le sou, sans armée, sans allié, Pépin accepte l'offre des hommes du Nord. Le comte de Bordeaux n'est pas exécuté, sort habituellement réservé aux chefs militaires francs. La raison est politique : le comte de Bordeaux n'est autre que Guillaume de Septimanie dont le père a été assassiné par Charles le Chauve en 844. Les Normands lui proposent une alliance qu'il accepte. La prise de Barcelone "par la ruse" dans les semaines suivantes ne peut s'expliquer que par le soutien efficace de guerriers Vikings expérimentés. Guillaume de Septimanie âgé de 21 ans était lui aussi un duc sans duché. Les Vikings offrent leur puissance armée en échange d'un partage de légitimité. Désormais, ils ne sont plus des envahisseurs, mais des alliés de Pépin et Guillaume dans leur lutte contre Charles le Chauve.

849   "Charles marche en Aquitaine... Les Normands brûlent et dévastent Périgueux, cité de l'Aquitaine, et retournent impunément à leurs navires... Charles entra en Aquitaine, et, favorisé du Christ, se soumit presque tous les peuples par les voies de la conciliation. Il ordonna aussi selon son plaisir de la Marche d'Espagne".

850   "Guillaume, fils de Bernard, prend par trahison dans la Marche d'Espagne les comtes Aledran et Isambard, mais il est pris lui-même en trahison et tué à Barcelone..."

852   "Sanche comte de Gascogne, prit Pépin, fils de Pépin, et le conduisit devant Charles. Charles l'ayant conduit prisonnier en France, et après un colloque avec Lothaire, ordonna qu'il fût tondu et renfermé au monastère de Saint-Médard, dans la ville de Soissons"...

853   Les pirates danois, passant pour aller dans les parties supérieures du pays de Nantes, viennent impunément à la ville de Tours le 8 novembre, la brûlent, ainsi que l'église de Saint-Martin et les lieux adjacents.

854   Les Danois qui habitaient sur la Loire viennent jusqu'au château de Blois et le brûlent, voulant ensuite poursuivre jusqu'à Orléans pour en faire de même... Pépin, fils de Pépin, qui, tondu au monastère de Saint-Médard, y avait pris l'habit de moine et fait serment de demeurer, vient en Aquitaine, où la plupart des peuples courent se réunir autour de lui... Les pirates normands, habitant sur la Loire, incendient de nouveau la ville d'Angers.

855   Les Normands s'emparent de Bordeaux, cité d'Aquitaine, et parcourent à leur gré le pays de côté et d'autre.

856   D'autres pirates danois rentrent de nouveau dans la Seine vers le milieu d'août, et, après avoir dévasté et ruiné les villes des deux bords du fleuve, et même des monastères et des villages plus au loin, s'arrêtent en un lieu proche de la Seine,nommé Jeufosse fort par son assiette, et y passent tranquillement l'hiver... Le 28 décembre, les pirates danois font une invasion en la ville de Paris, et y mettent le feu. Ceux qui habitaient sur la Loire inférieure dévastent Tours et les lieux environnants jusqu'à Blois.

857   Pépin, conjointement avec les pirates danois, dévaste la ville de Poitiers et plusieurs autres lieux de l'Aquitaine... Les Danois habitant sur la Seine dévastent sans résistance tout le pays; ils viennent à Paris, brûlent la basilique de Saint-Pierre, de Sainte-Geneviève, ainsi que toutes les autres, excepté la maison épiscopale de Saint-Étienne, l'église de Saint-Vincent et Saint-Germain et la cathédrale de Saint-Denis, lesquelles furent préservées du feu au prix d'une grosse somme d'argent. D'autres Danois du port qu'on appelle Duersted s'emparent à main armée de toute l'île Batave, et dévastent. les pays limitrophes. Hérispoé, duc des Bretons, est tué par les bretons Salomon et Almar depuis longtemps en querelle avec lui. Quelques-uns des grands du roi Charles, de compagnie avec les Aquitains, font beaucoup de pillages et autres torts. Frébaud, évêque de Chartres, fuyant à pied dans cette cité, poursuivi par les Danois, voulut passer à la nage la rivière de l'Eure, et mourut englouti par les eaux.

858   Bernon, duc de cette portion des pirates qui habitaient sur la Seine, vient vers le roi Charles dans le palais de Verberie, et, mettant ses mains dans les siennes lui jure fidélité.

859   Les pirates danois, ayant fait un long circuit en mer, car ils avaient navigué entre l'Espagne et l'Afrique, entrent dans le Rhône, ravagent plusieurs villes et monastères, et s'établissent dans l'île dite la Camargue.

860   Ceux de ces Danois qui s'étaient établis sur le Rhône parvinrent, toujours dévastant, jusqu'à la cité de Valence ; puis, après avoir ravagé toutes les parties circonvoisines, retournèrent à l’île où ils avaient pris leur demeure... Les Danois qui étaient sur le Rhône vont vers l'Italie, prennent et dévastent Pise et d'autres cités...

861   Charles ayant délégué son fils Louis à la garde de son royaume sous la protection d'Adalhard, oncle de la reine Ermentrude, s'avança en Bourgogne avec sa femme jusqu'à la cité de Maçon. Il était appelé par quelques-uns contre les Normands pour prendre la domination de la Provence

863. Turpin, comte d’Angoulême, rencontre les Normands  et, tuant leur roi nommé Maur, est lui-même tué par ce dernier. Chronique d’Aquitaine, Chronicon Aquitanicum, MGH, SS,II,p.253.

864   Charles ayant levé une armée d'Aquitains, leur ordonna d'aller contre les Normands qui avaient brûlé l'église de Saint-Hilaire... Les Normands marchent vers la cité d'Auvergne où, après avoir tué Etienne, fils d’Hugues, avec un petit nombre des siens, ils retournent impunément à leurs navires. Pépin, fils de Pépin, qui, de moine, s'était fait laïque et apostat, s'allie aux Normands et suit leur religion... Pépin l'apostat est enlevé, par l'adresse des Aquitains, du milieu des Normands, et présenté dans cette assemblée aux grands du royaume comme traître au pays et à la chrétienté, en raison de quoi il est de tous unanimement condamné à mort, et renfermé dans la ville de Senlis dans une étroite captivité.

865   Les Normands qui habitaient sur la Loire, favorisés du vent, voguent, avec la plus grande impétuosité jusqu'au monastère de Saint-Benoît, dit de Fleury, y mettent le feu, et, en revenant, livrent aux flammes la ville d'Orléans, ses monastères et tous les édifices environnants, excepté l'église de la Sainte-Croix,... Les Normands qui résidaient sur la Loire marchent par terre en troupes de gens de pied, sans aucun empêchement, sur la cité de Poitiers, la brûlent et reviennent impunément à leurs navires. Mais Robert ayant tué, sans perdre aucun des siens, cinq cents de ces Normands établis sur la Loire, envoie à Charles des enseignes et des armes normandes... les Normands établis sur la Loire, unis aux Bretons, marchent vers la cité du Mans ; et, après l'avoir pillée impunément, retournent à leurs navires. Les Aquitains combattent les Normands établis sur la Charente, sous la conduite de Siegfried, et en tuent environ quatre cents; les autres s'enfuient sur leurs navires... Charles reçoit à Compiègne les messagers qu'il avait envoyés l'année précédente à Mahomet, en la ville de Cordoue, et qui reviennent lui rapportant beaucoup de présents, à savoir, des chameaux, des lits, des tentes, diverses espèces d'étoffes et beaucoup de senteurs.

866   Le 29 décembre, une partie des Normands qui résidaient sur la Loire, allant au pillage en Neustrie, rencontre et combat les comtes Godefroi, Hérivée et Roric. Dans ce combat, Roric, frère de Godefroi, est tué, et les Normands, après avoir perdu beaucoup des leurs, s'en retournent fuyant à leurs navires... 

Les Normands remontent le lit de la Seine, viennent jusqu'à Melun et marchent sur les gardes placés par le roi Charles des deux côtés de ce fleuve. Les Normands, s'élançant de leurs navires contre une troupe qui paraissait plus forte et plus nombreuse, et à la tête de laquelle étaient Robert et Eudes, la mettent en fuite sans combat et s'en retournent chargés de butin... 

Environ quatre cents Normands, mêlés de Bretons, venus de la Loire avec des chevaux, arrivent à la cité du Mans, et, après l'avoir pillée, viennent en s'en retournant jusqu'à un lieu nommé Briserte, où les comtes Robert et Ramnulphe, Godefroi et Hérivée les attaquent ; et que Dieu eût été avec eux !

Le combat commencé, Robert est tué, et Ramnulphe, frappé d'une blessure dont il mourut peu après, est mis en fuite; Hérivée est aussi blessé et d'autres tués; le reste s'en retourne chacun de son côté : et comme Ramnulphe et Robert n'avaient pas voulu châtier précédemment ceux qui, contre leurs ordres, avaient osé s'emparer, l'un de l'abbaye de Saint-Hilaire, l'autre de l'abbaye de Saint-Martin, il était juste que le châtiment en tombât sur eux.

après avoir retiré au fils de Robert ceux des bénéfices de son père qu'il lui avait cédés après la mort de celui-ci, et après avoir ôté aussi au fils de Ramnulphe les bénéfices de son père, et donné à Frothaire, archevêque de Bordeaux, l'abbaye de Saint-Hilaire qu'avait eue ledit fils de Ramnulphe,

Les Normands remontent la Loire, parviennent à Orléans, et, après avoir butiné, s'en retournent impunément à leur résidence.

Les sources (865-950)

864 Translatio sanctae Faustae, AA, SS, Ianuarii I (Antwerp, 1643), p. 1091; (Paris, 1863), p. 727.

Eo vero tempore apud Gascones, quibus montes Pyrenaei vicini sunt, ducatus apicem Arnaldus vir illuster obtinebat. Hic etenim, filus cuiusdam comitis Petragoricensis, vocabulo Imonis, fuerat et avunculo suo Sanctioni, qui eiusdem gentis dux fuerat, in principatum successerat. Denique idem Arnaldus saepius cum praefatis barbaris ad defensionem sanctae Ecclesiae praeliando certaverat, et multos ex terra illa atque spurcissima natione interficiens, maximam ad ultimum sui nobilissimi exercitus partem amiserat

Mais à cette époque, chez les Gascons, dont les montagnes Pyrénées sont voisines, Arnaud, homme illustre, obtenait la couronne du duché. En effet, celui-ci avait été le fils d’un certain comte de Périgueux, du nom d’Imon, et il avait succédé au principat à son oncle maternel Sanche, qui avait été duc du même peuple. Bref, le même Arnaud s’était affronté fort souvent avec les susdits barbares [Normands], lors de batailles pour la défense de la sainte Eglise, et, en tuant beaucoup d’individus originaires de cette terre et de cette nation très immonde, à la fin, il avait perdu une très grande part de sa très noble armée.

Cette source évoque les combats du Duc de Gascogne contre des "individus originaires de cette terre", des Gascons donc "de cette nation très immonde", désigne des Gascons d'origine scandinave. Ce texte évoque la présence en Gascogne de païens "originaires de cette terre"

876. Annales de Saint-Bertin, « infestationem paganorum in civitate sua » Félix GRAT Ed. Annales de Saint Bertin, Paris, Kincksieck, 1964, p.204, année 876

« On lut la pétition de Frothaire, évêque de Bordeaux, qui ne pouvant demeurer dans sa ville à cause des incursions des païens demandait qu’il lui fût permis d’habiter la métropole du pays de Bourges. Les évêques rejetèrent unanimement cette pétition ».

876. Lettre du pape Jean VIII du 28 octobre 876 prenant la défense de Frothaire.

Le pape, prenant la défense de Frothaire, écrit : « Nous avons appris que presque toute la province appartenant au métropolitain de Bordeaux était désolée à cause des persécutions des païens, de telle manière que notre confrère ne peut plus donner de quoi vivre à ses sujets et qu’on n’y trouve plus la moindre habitation de fidèle »

 

879. Lettres et décrets du pape Jean VIII, ed. Migne, Patrologie Latine, t CXVI, c.841, lettre n° 232

« L’archevêque de Auch, de son côté,  n’avait plus, en 879, que Trois suffragants installés dans les sièges orientaux tandis que l’ouest était totalement privé de pasteurs. »

 

880. « Martyrologe d’Usuard et Flodoard » ed. Dom J. Dubois, Subsidia Hagiographica, n°40, Bruxelles 1965 (année 880)

« La Gascogne aux années 880 est en pleine désolation. Aucun voyageur ne se risque à la traverser, surtout dans sa partie occidentale, plus touchée que les autres. »

 

887. Lettre d’Etienne V aux archevêques de Lyon et de Reims. Flodoard Historia Remensis IV, 1.ed.Lauer Paris 1907.

 « Les Evêques n’ont pas été renouvelés sur leurs sièges, certains sont partis. L’Archevêque de Bordeaux a lui-même quitté en 876 sa métropole trop exposée  et, en 887, le pape se plaignait qu’il n’y soit pas encore rentré ».

 

892. Grande Légende de Saint Léon in Abbé Dubarrat, Le Missel de Bayonne en 1543. Edité par Vve Léon Ribaut / A.Picard & Fils / Edouard Privat, 1901

« il fut élu et sacré évêque de Rouen par le pape…, mais il fut aussi prié et adjuré par le Collège de s’en aller en Espagne pour instruire ce peuple qui était alors sans pasteur… il prit avec lui ses deux autres frères Philippe et Gervais et tous trois s’en allèrent à pied comme des pauvres gens jusqu’aux Landes, qui est une terre infertile et déserte, entrèrent dans un village nommé Bahoueyre [Labouheyre] où ils convertirent à la foi chrétienne le seigneur nommé Argare (Argarius) [Arngeirr ?] et toute sa famille et les baptisèrent. Tout ce village donc ainsi converti à la foi, ils se retirèrent sur le rivage de la mer et suivant l’eau vinrent à Bayonne… Léon voyant une si grande troupe de citoyens… fut rempli d’une si grande grâce de l’Esprit Saint, que parlant leur langue, il leur plut tellement que non seulement ils l’introduisirent dans leur ville, mais aussi l’ayant placé au milieu de la cité sur la place publique, il les enseigna avec tant de fruits que le premier jour il convertit 718 personnes, tant hommes que femmes. »

Ces conversions massives signifient que les asssemblées paÎennes de Gascogne avaient voté pour la conversion. Ces conversions étaient un moyen d'intégrer la chrétienté. Or, le comte de Gascogne ambitionnait de reconquérir les terres occupées par les païens. Si ceux-ci devenaient chrétiens, sa Reconquista cesserait d'être une guerre de libération, mais deviendrait une guerre d'agression menée contre une minorité chrétienne protégée par Rome. Le comte de Gascogne perdrait toute légitimité. Celui qui avait intérêt à assassiner Léon n'était pas le chef des païens, mais le comte de Gascogne. Ce crime explique la rivalité qui naîtra entre le comte de Gascogne et Rome et qui aboutira à la fondation de l'église dissidente de Gascogne.

 

Le Baptista Salvatoris

« Nous savons à n’en pouvoir douter que Bazas a subi bien d’autres ruines, quoi qu’il ne soit pas possible d’en découvrir la trace dans nos annales. : « Pour preuve que ce fléau n’est pas si éloigné de notre temps, il suffit de compter le nombre des évêques qui ont gouverné ce diocèse depuis l’apparition des hommes du Nord. Nous savons qu’ils sont au nombre de huit. »  

 

La fin de la Gascogne scandinave (956-982)

956. Le roi des Asturies devient roi de Galice. 

966. Le roi des Asturies  est assassiné par le comte Menendez, un galicien qui refuse de voir cet allié des Madjous régner sur la ville sainte de Saint Jacques.

968. Un corps expéditionaire viking ravage la Galice pendant deux années. Les hommes du Nord viennent venger l'assassinat de leur allié asturien.  L'évêque de Saint Jacques est tué au cours d'une bataille. Un chevalier gascon nommé Guillaume chasse les Vikings de Galice.

971. Urraca, reine de Pampelune, épouse le sauveur de Saint Jacques et soutient désormais la croisade de reconquête que son mari entend mener sur  les terres dominées par les hommes du Nord. 

976. Le comte de Bordeaux est tué par les Vikings. Le comte de Gascogne devient comte de Bordeaux. Bordeaux  est rattachée à la Gascogne. 

 

982. Les armées gasconnes et navarraises viennent affronter les Vikings de Gascogne et les écrasent à Taller, près de Dax.

« C’est pendant son gouvernement [= de Guilhem-Sants, duc et comte de Gascogne] que la nation perfide des Normands, christianisée en apparence mais non en réalité, envahit les rivages et les limites de la Gascogne, et s’installa dans une plaine appelée Taller. Guilhem les attaqua si vigoureusement en ce même endroit que, aujourd’hui encore, ce lieu désolé n’est plus jonché que des ossements des tués. Mais ensuite, ils n’osèrent plus s’attaquer à la Gascogne. Parmi eux se trouvait un très redoutable normand appelé Airald [= Harald] qui protégé par sa cuirasse et ses armes paraissait invulnérable : les traits le touchaient mais ne le blessaient pas. Enfin il fut fait prisonnier et, sous sa cuirasse, on vit pendre à son cou la croix du Seigneur, alors qu’il en était indigne. Sitôt qu’elle lui fut retirée, il mourut. Le comte [Guilhem-Sants] offrit alors ce bois porteur de vie à notre monastère [St-Pierre de Condom]. Depuis, il apporte le salut, car on a reconnu sa vertu contre l’incendie, la tempête, et, aspergé de vin, dans le rétablissement des malades. On nomme toujours cette croix du nom du guerrier qui la portait. Guilhem devint ainsi prince de la province… ».  

Paris, B.N, Ms. Latin 5652. 

Traduction dans R. Mussot-Goulard, Histoire de Condom, Marsolan, 1988, p 81-82.

 

« La nation impie des Normands ayant fait irruption dans les terres que je tiens de Dieu par droit héréditaire, je suis venu au tombeau du saint martyr Sever pour implorer sa protection contre ces barbares, promettant, s’il me rendait victorieux, de lui assujettir tout l’état soumis à ma domination, comme avait fait Adrien, roi du même pays, et m’engageant à construire au lieu d’une petite église que ce prince avait élevée en son honneur, un ample et magnifique monastère. Ayant, après ce vœu, livré bataille à cette troupe maudite, je vis paraître à la tête de la mienne le saint martyr, monté sur un cheval blanc et couvert d’armes brillantes, avec lesquelles il terrassa plusieurs milliers de ces méchants, et les envoya aux enfers. Parvenu au comble de mes souhaits par une dernière victoire, je m’empressai de m’acquitter de mon vœu… »

Historia Abbatiae Comdomensis, d’Achery, Spicilegum, Tome XIII.

 

Vers l’an 412, une partie de ce dernier peuple se répandit dans l’Aquitaine et la Vasconie et y perpétra tant de cruautés que les premiers habitants du pays se soulevèrent, unirent leurs forces, et guidés par les nobles, parvinrent à détruire ou à chasser les Goths, dont il ne resta parmi eux que quelques misérables, fort peu à redouter. Ces misérables, d’après l’auteur, furent les premiers Agotes ».

Derecho de naturaleza que los Naturales de la Mirendad de San Juan del Pie de Puerto tienen en los Reynos de la Corona de Castilla… Por Don Martin de Viscay, Presbytero. En Zaragoza. Por Juan de Lanaja y Quartanet, Ano 1621. In-4 ; fol. 123-126.

Ce texte évoque une bataille de libération qui ne peut pas concerner les Visigoths qui furent vaincus par Clovis, un roi étranger.

 

Frotaire, évêque de Périgueux (976-991) "construisit contre les Normands les châteaux d'Agonac, de Croniac, d'Auberoche, de Bassillac et de la Roche-Saint-Christophe"

Fragment des évêques de Périgueux, une liste épiscopale s’achevant en 1182

La bataille de Taller n'a pas mis totalement fin à la menace scandinave puisque l'évêque de Périgueux éprouve le besoin de créer une ligne de fortifications autour de sa cité pour la protéger des Normands. 

 

Sources arabes

Combats de 795

Ibn-al-Athir. "Alfonse (II le Chaste) réunit une armée. Il est aidé par les Vascons et par les Madjous qui vivaient sur la côte de cette région."

Perez de Laborda, p342. p350

 

Expédition de 844

Ibn Idhari. En l'an 229 [sept 843-sept 844], l'émir reçut un courrier de Wahb-allah Ibn-Hazm, gouverneur de Lisbonne, annonçant  que les Madjous étaient apparus sur les côtes de sa province avec 54 navires et beaucoup d'autres bateaux."

Al Nowairi. En l'an 230 [sept 844-sept 845] les Madjous qui occupaient la partie la plus reculée de l'Espagne envahirent le pays des Musulmans.

Ibn-Al-Kutia. Après cela, l'émir Abd-el-Rahman prit des mesures de protection, construisit un chantier naval à Séville, ordonna la construction de navires, recruta les marins de la côte andalouse, qui furent bien payés, leur donnant du nafte et des machines de guerre.

 

 

Normands en Gascogne.

Al Nowairi. En l'an 230 [sept 844-sept 845] les Madjous qui occupaient la partie la plus reculée de l'Espagne envahirent le pays des Musulmans.

Al Bakri. "Le pays des Galiciens est plat et le sol en est le plus souvent sabloneux" 

Aboulfeda« Bordeaux se trouve hors de l’Andalus… Les épées qu’on y fabrique sont célèbres ».

Aboulfeda, Géographie, trad. M REINAUD, Paris, 1848, t.2, chap.7

 

Ibn Kordadbeh. Ce fonctionnaire persan écrivit vers 870 Le Livre des routes du royaumeBordeaux "est située au bord d'un fleuve à très fort débit qui s'appelle la Garonne et dans lequel il arrive que les bateaux des Normands fassent naufrage en cas de tempête, tant ce fleuve est large et a un courant violent...  On y trouve cinq cents forgerons qui fabriquent des cottes de mailles, des épées, des casques et des fers de lance ».

Ibn Khordadhbeh. Dans cet ouvrage, il décrit les villes et routes commerciales du monde connu. Il évoque entre autres les marchandises arrivant à Saragosse en provenance des Pyrénées : esclaves, fourrures, armes, ambre.

Ibn Khordadbeh (820-912), Kitâb al Masalik wa l’Mamâlik, éd. De Goeje Bibliotheca geographorum arabicorum

 

Burdhil [Bordeaux]. Ville du côté de la France, riche en eau, en fruits et en céréales. La plupart des habitants sont chrétiens. Elle a des bâtiments élevés construits sur d'énormes colonnes. Sur son rivage, on trouve de l'ambre de bonne qualité. On raconte que lorsque l'hiver est très rigoureux et leur interdit de naviguer, les gens se rendent dans une île proche, nommée Anwâtâ (l'île du Médoc), où il y a une espèce d'arbre appelée mâdiqa (medica). En cas de famine, ils écorcent cet arbre et trouvent entre le liber et le bois une substance blanche (l'aubier) dont ils se nourrissent pendant un mois, deux mois ou même plus, jusqu'à ce que le temps s'améliore. Il y a un mont dominant la ville et l'Océan, avec une statue au sommet, comme pour dire aux gens de ne plus s'aventurer sur l'Océan, afin que ceux qui quitteraient Burdhil pour prendre la mer y renoncent.

 

 


 

Autres sources gasconnes

 

"Lorsque plus tard, les Goths et les Normands arrivèrent par mer sur des embarcations et remontèrent jusqu'ici, ils livrèrent cette île à une dévastation complète et, pénétrant par plusieurs ports, ils couvraient l'honor de Fronsac et le territoire compris entre l'Isle et la Dordogne, comme une nuée de sauterelles (invasion); ils rasèrent les fortifications et en élevèrent de nouvelles (occupation du territoire). Enfin une troupe innombrable de gens du pays de Sciorac, de Mayac, et de Fronsac se réunirent en un seul corps, les poursuivant à la pointe de l'épée jusqu'au port du Carney (libération). C'est de la proximité du lieu où ils furent exterminés que ce port a pris le nom de Carney."

La Chronique de Guîtres est une compilation anonyme dont on connait deux versions écrites aux XVe et XVIe siècles

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