Tuskaland

7 idées reçues sur le phénomène viking

1- Le mythe viking a été créé par des moines paniqués

« Le mythe viking est sorti de la plume de tous ces clercs épouvantés… les diplomates arabes… ont un regard que nous dirions d’ethnologues… sans parti pris ni terreur, mais avec une sorte de curiosité, d’intérêt anthropologique ». Régis Boyer, Le cavalier Bleu, p.21.

Cette opposition entre témoignages chrétiens et musulmans est biaisée. L’auteur compare des témoignages de Chrétiens en Occident avec ceux de Musulmans en Orient. Si on lit les témoignages des auteurs sarrasins d’Espagne qui furent confrontés aux mêmes Vikings que les Francs, le regard est beaucoup moins « ethnologique ». Leurs témoignages sont ponctués de « Dieu les maudisse ». Après l’attaque de 844 contre Séville, l’émir de Cordoue ordonne la restauration des remparts romains des cités de l’émirat, l’édification de forteresses sur les baies pouvant servir aux hommes du nord, la construction de tours de guet sur le pourtour de la péninsule. Il crée également un arsenal et ordonne à sa nouvelle flotte de croiser du cap Finisterre en Galice à Perpignan… Ce ne sont pas des mesure «ethnologiques ».

Lindisfarne

2. La Scandinavie n'a jamais été surpeuplée

« La surpopulation n’a pas été une cause des invasions… la Scandinavie n’a jamais pu être « surpeuplée », Régis Boyer, p.78.

La Scandinavie était qualifiée au 6e siècle par Jordanès de « matrice des peuples ». Au cours des siècles, plusieurs vagues d’émigration venues du Nord déferlèrent sur l’Europe. Ce dynamisme démographique résultait principalement de l’isolement qui permettait d’échapper aux vagues de migrations, de limiter les dégâts causés par les grandes épidémies et les famines qui décimèrent l’Europe du sud. La Scandinavie a été préservée des bouleversements qui touchèrent le sud du continent. Elle n’a pas été surpeuplée pour la raison simple que dès qu’un surplus de population menaçait l’ordre social, une émigration venait réduire la pression démographique. Les invasions vikings s’inscrivent dans ce phénomène de soupape.

Jordanes

3- Les Vikings n'avaient pas les moyens humains des invasions

 « Encore aujourd’hui, les Scandinaves sont à peine 19 millions, toutes nations confondues. A l’époque, leur nombre était bien évidemment bien moindre. Ils n’étaient pas assez nombreux pour se rendre capables des opérations et des prouesses dont on les a crédités par la suite. Ils n’étaient pas assez nombreux ». Régis Boyer, Au nom du Viking, p.124

Ce syllogisme formulé par un linguiste a de quoi faire bondir les démographes ! L’Australie est aujourd’hui aussi peuplée que la France, donc il y a douze siècle, l’Australie était déjà un pays peuplé… Les Vikings ont été nombreux, toutes les sources le disent. Indépendamment d’une natalité dynamique, la raison principale est politique. Les Francs avaient constitué un empire par la force. Ils avaient soumis Frisons, Bretons, Aquitains et Saxons. A la mort de Charlemagne, les peuples dominés n’aspiraient qu’à se débarrasser de la tutelle franque. Partout où il débarqua, Ragnar proposa d’aider les peuples soumis à se défaire des Francs. Les jeunes hommes avides d’une vie meilleure acceptèrent en masse de se joindre à Ragnar dans sa « croisade anti-franque ». La pluralité des origines du contingent viking explique sa terrible efficacité : les éclaireurs vikings étaient des gens du pays qui avaient rejoint leurs rangs. Les Vikings furent très nombreux et tous n’étaient pas scandinaves.

4- Les pays scandinaves étaient pauvres

« Les pays scandinaves étaient pauvres, voire sous-développés.» Régis Boyer, Les Vikings, Idées Reçues, p.37.

La notion de pauvreté et de sous-développement n’a aucun sens. Ils avaient des ressources limitées qu’ils géraient pour éviter le débordement de leur société. Dès qu’un excès de population ou une disette s’annonçait, ils ne se lançaient pas dans des guerres tribales pour réguler leur population comme les peuples enserrés dans des territoires sans issue, mais évacuaient le surplus de population vers le sud. Cette évacuation n’était pas forcée comme en Irlande (esclaves), elle était basée sur le volontariat (colon).

Régis Boyer

5- Les Vikings n'étaient pas organisés

« La conquête systématique, organisée, ce n’est pas leur affaire, mais la surprise, la mise à sac etc…» , Régis Boyer, Au nom du Viking, p.148

Les Hommes du Nord vont défier l’empire franc, l’émirat de Cordoue, l’empire byzantin et les royaumes anglais. Ils prennent Paris, Nantes, Bordeaux, Lisbonne, Séville, Hambourg, Constantinople et Londres et ils auraient pris ces villes « par surprise » ? C’est évidemment absurde. La logistique maritime des invasions a été très complexe. Tout a été calculé et prémédité. Les retours sur investissement également. Les flottes vikings construites dans des chantiers navals dédiés hivernaient dans des bases situées en France, dans le Cotentin et en Gascogne. Chaque offensive était minutieusement préparée. La logistique du ravitaillement des troupes, de l’évacuation du butin et notamment des esclaves vers des camps de transit, puis vers le marché espagnol, étaient parfaitement rodées et méthodiques.

6- Il est impossible d’identifier une cause

« Ce caractère multiforme rend difficile toute synthèse, arbitraire tout classement, illusoire (sic) la recherche de causes générales applicables à tous les aspects du mouvement. » Lucien Musset, p. 122

Beaucoup de facteurs entrent dans les motivations des Hommes du Nord. L’erreur est de toutes les mettre sur le même plan. La recherche de butin et d’aventure intéresse le jeune guerrier cherchant à se constituer un patrimoine, une famille et une réputation. La recherche de terres intéresse le colon. Mais ce qui intéresse les chefs, c’est le commerce. Prendre le contrôle d’un port important leur assure des revenus commerciaux réguliers et assoit leur pouvoir politique. Or, ce sont les chefs qui mobilisent les hommes et impulsent les mouvements. Les chefs vont promettre richesses et terres ensoleillées à leurs hommes, mais ce qui les intéresse, ce sont les routes commerciales, celles qui permettent de financer dans la durée leur pouvoir politique. Lucien Musset n’ayant jamais saisi la dimension commerciale des invasions juge bien évidemment « illusoire » toute explication. Lorsque Rollon obtient la Normandie, il ne reçoit pas plus de terres que ses hommes ; par contre, il est nommé comte de Rouen. Ce faisant, il prend le contrôle du commerce de la Seine.

Lucien musset

7 - La seule ambition des chefs vikings était de revenir s’imposer en Scandinavie

« Ils débarquaient pour faire fortune et s’en retournaient fortune faite. Voilà la seule grille qui se dégage avec constance de leurs comportements», Albert d’Haenens, 1970.

Albert D’Haenens ignore lui aussi la dimension commerciale des invasions. A ses yeux, seul le pillage constitue une source de richesse et cette richesse permet aux chefs de revenir en Scandinavie pour s’y imposer comme roi. Cette vision est dans une certaine mesure devenue vraie à la fin des invasions, mais au début, ce n’est pas le cas. Les principaux chefs des invasions Ragnar, Asgeir, Björn, Hastein, Ivar, Sygtrygg, Ubbe, Veland ne tentent pas de revenir en Scandinavie. Björn s’installe en Gascogne, Asgeir occupe la Saintonge, Hastein tente de s’installer sur la Loire, Ivar deviendra roi d’York et de Dublin. Sygtrygg lui succèdera. Comme leurs hommes, les chefs cherchent une vie meilleure ailleurs. Ils savent qu’il n’y a de place que pour un seul roi en Scandinavie et n’ont aucune ambition de s’entre-tuer. Ragnar est le seul qui tentera un retour. Après la prise de Paris en 845, il revient étaler ses richesses devant le roi de Danemark. Ce dernier se sentit menacé par ce rival et le fit empoisonner avec les hommes de sa garde. Godfrid de Frise tentera de s’imposer sur le trône de Danemark, mais sans succès. Ces deux cas -minoritaires- ne suffisent pas à faire une généralité.

Albert d’Haenens

Biarritz, 11 septembre 2018

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