Pineuilh, la plus ancienne motte de France ?
Pineuilh, une des plus anciennes mottes d’Europe.
Dans le cadre du suivi archéologique de la rocade de contournement de Sainte-Foy-la-Grande (Dordogne), un habitat aristocratique bien conservé dans les formations organiques du ruisseau de Monsabeau a été fouillé pendant 10 mois en 2002 et 2003 à Pineuilh (Gironde). La particularité de cette motte est qu’elle est des plus anciennes connues.
Les historiens considèrent, de manière générale, que les mottes seraient apparues au 11e siècle et seraient le résultat du morcellement du pouvoir, de sa régionalisation et de la féodalisation du monde franc. Or, la motte de Pineuilh date du 10e siècle.
Une motte dans un contexte historique peu connu.
Lorsque le rédacteur du rapport archéologique écrit : « Son étude complète, qui est actuellement en cours, apportera donc de précieux renseignements sur la “révolution de l’an Mil” et sur le rôle de ces sièges du pouvoir dans la reprise agricole et économique de cette période. ». L’approche historique de l’archéologue s’inscrit dans un schéma traditionnel : il se projette dans la vision traditionnelle des sièges de pouvoir et de la féodalisation, des généralités, mais ne se pose pas la question de la réalité particulière de la Dordogne à l’époque. On le comprend d’autant mieux que cette réalité est pour le moins peu connue en raison du manque de sources dans le sud de la France.
Toute l’Aquitaine souffre d’un même manque documentaire à la période concernée par l’apparition de cette motte. On connait pourtant quelques faits : 840, conquête de la Gascogne par les Vikings, 844, remontée de la Garonne par une flotte scandinave (ASB), 845, prise de Saintes par les Hommes du nord (ASB), 848, prise de Bordeaux pat Asgeir (ASB), 849, prise de Périgueux, en 858, les Vikings capturent le roi de Pampelune et obtiennent un traité de paix, en 876, le pape demande à l’évêque de Bordeaux de retourner sur son siège, en 886, le pape réitère sa demande, en 892, Léon évêque de Rouen est envoyé en Gascogne sur ordre du pape. Les Vikings sont toujours présents en Gascogne, un demi-siècle après l’attaque initiale. En 971, la reine de Pampelune épouse le comte de Gascogne et s’allie à son mari pour chasser les païens qui ravagent la Gascogne. En 976, le comte de Périgueux -qui est aussi comte de Bordeaux- est tué par les hommes du Nord. Le Fragment des évêques de Périgueux, parvenu à travers un texte de 1570, nous apprend que l’évêque Frotaire (un homonyme de l’évêque déserteur) « Construisit contre les Normands les châteaux d’Agonac, de Croniac, d’Auberoche, de Bassillac, et de la Roche-Saint-Christophe », cinq villages situés autour de Périgueux. Or, cet évêque fut en fonction de 976 à 991, soit au moment même où la motte est érigée.
Manifestement, au moment de la construction de cette motte, la région est sous la menace des scandinave et connait une phase de « militarisation ».
La question de savoir s’il s’agit d’une motte chrétienne ou d’une motte scandinave parait assez légitime.
La motte, une technologie venue du Nord ?
Le site de Pineuilh a révélé la présence d’une fortification terrassée circulaire. Ce type de fortification ne s’inscrit pas dans la tradition carolingienne. Les Francs privilégiaient des fortifications rectangulaires sur le modèle romain. Les palais bâtis sur des villa romaine en prenaient la forme. Par ailleurs, la puissance militaire franque permettait d’assurer une pax carolingiana et l’armée carolingienne, comme l’armée romaine, se battait aux frontières. Dans l’empire, les Francs interdisaient de bâtir des châteaux qui auraient pu devenir des lieux de résistance. La motte n’était pas une technique franque.
Il se trouve que la première représentation d’une motte castrale est celle de la tapisserie de Bayeux. La motte aurait-elle été une invention scandinave ?
Certains chercheurs en sont convaincus. Jean François Maréchal s’est intéressé à l’apparition de ce phénomène et considère que la motte castrale est une invention scandinave. « Il semble…difficile d’admettre devant l’ampleur et la simultanéité de ce phénomène –la dissémination des mottes dans toute l’Europe-, qu’il ait été spontané et que chaque région envahie ait réagi par le même genre de fortification, en renonçant à leurs enceintes traditionnelles et en négligeant les ressources locales en sites défensifs naturels à aménager ou à réaménager ». De son côté, R.E. GLASSCOCK constate qu’il existe en Irlande une « parfaite corrélation » entre la présence des mottes et les zones occupées par les Scandinaves.
Cette opinion semble confortée par une source franque contemporaine.
Les Annales de Metz évoquent en 891 « les Normands à l'approche de cette armée, se fortifièrent sur les bords d'une rivière nommée la Dyle, formant selon leur coutume des amas de terre et de bois ». (François Guizot, Collection des mémoires relatifs à l'Histoire de France, Paris, 1824). Cet « amas de terre et de bois » est une motte d’urgence. Le fait que cette motte ait été construite « selon leur coutume » confirme l’origine scandinave de ce type de fortification et permet d’affirmer qu’elles n’apparaissent pas au XIe siècle, mais dès le IXe, à l’occasion des invasions vikings.
Ce texte permet d’affirmer que lorsque Guillaume le Conquérant bâti sa motte à Hastings en une nuit grâce à un donjon en kit embarqué dans ses navires, il ‘adopte pas une technique prise aux Francs, mais bien à ses ancêtres vikings.
Une motte « anormalement » positionnée.
On ne comprend pas pourquoi cette motte se trouve dans les marais. Un seigneur aurait dû choisir une hauteur avec une vue étendue et témoignant du son prestige. Le choix de s’installer dans une zone insalubre est pour le moins surprenant pour un seigneur qui est supposé être un propriétaire terrien avide de dominer de bonnes terres.
Cette motte est trop mal située pour être une motte seigneuriale édifiée par un propriétaire terrien. La période étant témoin d’un affrontement avec les hommes du nord, son positionnement en bord de Dordogne laisse plutôt imaginer qu’elle s’inscrit dans un schéma visant à contrôler un axe stratégique, un franchissement. La motte à la différence d’un oppidum ou d’un éperon barré n’est pas une fortification « défensive », une fortification dans laquelle se réfugierait la population pour échapper à un agresseur, mais une fortification « offensive » : elle permet de prendre le contrôle d’un point stratégique, souvent un axe de passage : une rivière, une vallée, une route.
Mais cela ne nous dit pas si ce sont des chrétiens ou des descendants de Scandinaves qui l’ont édifiée.
Le témoignage des artefacts découverts.
Ce type de fortification s’inscrit dans la tradition scandinave et apparaît dans une région justement en proie avec un adversaire scandinave installé depuis plus d’un siècle. La présomption scandinave est assez logique, mais la possibilité chrétienne n’est pas exclue : des Aquitains confrontés aux hommes du Nord depuis plus d’un siècle ont très bien pu reprendre les technologies et stratégies d’occupation du territoire de leurs adversaires. Voyons si les artefacts découverts permettent de mettre en avant une hypothèse plutôt que l’autre.
« Le bâtiment central construit en 982 ne sera démoli qu’au milieu du xie siècle, lors d’une refonte générale du site. Il aura duré une soixantaine d’années, qui furent opulentes si l’on en juge par la richesse du mobilier issu des fossés. Volontairement et ostensiblement rejeté au début de la deuxième période, l’équipement militaire abondant qui n’aurait pas dépareillé aux côtés de Guillaume le Conquérant, tel qu’on le voit sur la tapisserie de Bayeux (selle, éperons, mors articulé, lances de jet et d’estoc, arc, arbalète, dagues, olifants). »
Tous ces éléments, comme le remarque l’auteur du rapport apparaissent sur la tapisserie de Bayeux. Il en est un cependant qui pourrait donner un indice important : l’éperon.
L'éperon.
L’éperon était mal connu des Francs et des Romains. Cet ustensile était par contre très commun en Scandinavie. La plus ancienne représentation connue d’un éperon est une nouvelle fois la tapisserie de Bayeux. Par ailleurs, les plus anciens éperons connus ont été découverts sur les sites vikings. En France, les éperons du Xe siècle ont été découverts en Normandie.
La scie.
« Toutes périodes confondues, la hache est le seul outil utilisé en charpenterie. Un modèle assez lourd, à tranchant étroit et bien dégagé, avec un long manche de frêne a été utilisé pour tous les travaux : abattage, refente, équarrissage, dégagement de tenons et ouvertures de mortaises. L’utilisation de la scie, appartenant à un système technique et symbolique radicalement différent, n’est absolument pas attestée pour la charpenterie. »
La scie est un outil connu depuis l’Antiquité, chez les Grecs, puis chez les Romains. Par contre, le monde scandinave, fendait le bois ce qui améliorait sa résistance et sa longévité. L’absence de bois scié suggère une construction d’origine scandinave.
Les pièces du jeu d’échec.
Les pièces correspondent à d’autres pièces découvertes sur d’autres sites scandinaves. Harnachement et jeux d'échecs sont des découvertes assez communes sur les mottes. Lorsque les mottes remotent aux 9e et 10e siècles, elles ne sont a priori pas franques.
L'Abbaye de l'Ile, Ordonnac, Médoc : un borg scandinave ?
L'abbaye de Saint Pierre de l'Isle dans le Médoc fut construite au XIe siècle sur une île au milieu des marais. L'île Saint Pierre a été donnée par le seigneur de Lesparre, un sire probablement d'origine scandinave, à Geoffroi du Louroux, futur évêque de Bordeaux, afin qu'il y bâtisse une abbaye. L'acte est daté de 1130. Dans cette île, on a un amas rocheux culminant à 11 mètres et offrant une vue embrassant l’estuaire de la Gironde. C’est donc un site présentant un intérêt stratégique pour des marins.
Cette île fut aménagée et un fossé creusé sur son pourtour. Ce qui est conforme aux habitudes des hommes du Nord. Son diamètre varie de 250 et 280 mètres. Le choix d'implanter un abbaye à cet endroit pourrait être symbolique et signifier le retour dans le giron du christianisme d'une péninsule -le Médoc- tombée dans le paganisme.
La probabilité que cette île fortifiée soit de facture scandinave est d'autant plus grande qu'on ne voit pas qui aurait pu construire ce genre de structure à cet endroit. Il s'agit a priori d'un ensemble militaire. Dans son rapport Juliette Masson note "Cette prospection permet également de visualiser le terrassement qui a eu lieu sur le sommet de l'île avant d'y construire l'abbaye, ainsi que des structures supplémentaires encore énigmatiques." Bilan Scientifique, DRAC, 2002. p. 78. On peut penser qu'une motte surmontée d'une maerk, un amer a pu exister à cet endroit.
Lesparre, anc. Sparram, pourrait correspondre à Sparhamn et se traduire par le "port de l'éperon. Le château de Lesparre se trouve effectivement sur un éperon au pied duquel on trouve toujours le lieudit "Le Port". Le vaste bassin baignant Sparhamn au temps des invasions est devenu marais, asséché au XVIIIe siècle. Quant au seigneur de Lesparre, il faisait partie de ces nobles d'Aquitaine qui ne portaient aucun titre de noblesse. Comme les seigneurs d'Albret et de Caupenne, les seigneurs de Lesparre se faisaient appeler "sires", c'est à dire sieur, monsieur. Ce refus de titre de noblesse était un choix politique. En Gascogne, le pouvoir était détenu par des assemblées et pour y sièger, il fallait être un homme libre. Les membres du clergé et de la noblesse, appartenant à des hiérarchies, étaient exclus de ces assemblées. On peut légitimement penser que les seigneurs gascons se faisant appeler "sire" étaient d'origine scandinave.
Ordonnac, anc. Ordénac, pourrait correspondre à Harthaenhaug, la motte d'Harthaeni. A rapprocher d'Arthenac (Charente maritime) sur la rive opposée.
La Tusque de Sainte Eulalie d'Ambarès : une tuska scandinave ?
La Tusque de Sainte Eulalie d'Ambarès, près de Bordeaux, répertoriée et dessinée par Eugène Viollet-Leduc et Léo Drouyn, est une motte castrale typique, ce qui lui a valu un note détaillée. Cette Tusque porte un nom scandinave : tuska (tusk en anglais) désigne une defense. Une défense en terre en l'occurrence. Le Tuskaland est littéralement le Pays des Tusques ou le Pays des Tucs.
Il est intéressant de noter ma présence de trois tumuli funéraires renfermant des ossements à proximité de la motte. Or, les tumuli de Gascogne sont associés à une période "protohistorique" alors que les mottes castrales sont considérées comme apparaissant seulement au XIe siècle en Europe.
La coexistence de la motte et de tumuli, tous deux emblématiques de la période viking, semblent, à nos yeux, confirmer l'origine scandinave de la Tusque.
Les annales de Metz nous apprennent que des Normands aculés érigèrent un "amas de terre et de bois" pour se protéger des Francs. Les annales précisent qu'ils agirent "selon leur coutume ". Il s'agit de la première description d'une motte. Elle remonte au IXe siècle et évoque clairement l'origine scandinave de celle-ci. Il n'est pas anodin de rappeler que la plus ancienne représentation d'une motte est celle de la tapisserie de Bayeux réalisée vers 1070. Guillaume le Conquérant avait emmené un donjon en pièce détaché dans ses navires et a réussi à ériger sa motte en une nuit... Il ne faisait que reproduire les techniques de ses ancêtres...
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