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Tuskaland

ARCHEOLOGIE. Gers.

Le Tuco de Panassac, Gers,

 

Extraits du rapport de fouille de Louis Lartet, 1881.

Il existe dans le village de Panassac, Gers, une très belle motte castrale. Elle se situe dans la vallée du Gers, sur une route reliant Agen à Montréjeau au pied des Pyrénées. Il s’agit d’un axe stratégique. Une première fouille y fut menée en 1853 par Eugène Lasserre, juge de paix. On avait découvert des éperons et des fers à cheval, tête de lace, javeline, figure en bois de cerf. Des ossements aussi, des poteries et des cendres. Les traces d’incinération et les ossements incitèrent Eugène Lasserre à y voir un tumulus funéraire

En 1881, Louis Lartet, préhistorien, lance une deuxième campagne de fouille.  Le creusement d’un tunnel traversant le tumulus lui permet de constater une disparition des incinérations en profondeur. Il comprend qu’il s’agit d’une motte. Hauteur : 8.65 Diam : 39.20/ 38.50 Diam haut : 13m/9.3. La plateforme sommitale est assez commune.

Eperon a branche droites nevers 12e?

Eperon à branches droites, Nevers

Louis Lartet écrit un compte rendu : le Tuco de Panassac Revue de Gascogne, tome 23, 1882. P. 275. Le rapport est assez succinct.  Or, dans les années 70, treize feuillets inédits datant de 1881 sont découverts à la bibliothèque de Toulouse. Jean Michel Lassure publie des extraits de ces 13 feuillets dans l'article Un manuscrit inédit de Louis Lartet sur le Tuco de Panassac. in le  Bulletin de la SAHLS du Gers, Tome 3, 1978  p327-309. Voir aussi du même auteur, La motte féodale numero 2 à PanassacBulletin de la SAHLS du Gers, Tome 1, 1975, p.37.

Nous reproduisons quelques morceaux choisis.

Le préhistorien fait des rapprochements avec d’autres sites médiévaux connus en son temps : le Lac Paladru. Entre Lyon et Grenoble. La Motte des Luquets à Buzet en Haute-Garonne (Bulletin de la société archéologique du Midi de la France, 185, p. 45) ; Les Souterrains de Léojac (82) (Devals, Habitation troglodytique à Léojac in Revue archéologique du Midi de la France, Vol. 1, 1866-1867, p. 55-58. 97-105). Le Tumulus de Frégouville (82) (Charles de Lias, in Revue archéologique du Midi de la France, Vol. 1, 1866-1867, p. 213-218). La Tour Saint-Austrille (Creuse)

Le préhistorien n‘a aucune certitude quant à l’origine de cette motte.

 « Nous aurions là les vestiges aussi rares que curieux d’une époque et d’une race dont les traces sur notre sol aquitain n’ont pas encore été bien retrouvées. »

 

Eperons

« On a trouvé quelques éperons de forme ordinaire, mais le mieux conservé et le plus remarquable, sous tous les rapports , est un éperon de fer portant encore sur divers points de sa surface un placage d’argent et dont la forme est éminemment caractéristique ». p.303

 

« Au milieu des deux branches droites de la talonnière, une fine tige cylindrique ornée aux deux extrémités et en son milieu d’anneaux en saillie porte une pointe pyramidale quadrangulaire que l’on retrouve dans un éperon du lac Paladru, avec encore plus de ressemblance dans celui qui fut trouvé à la tour St-Austrille (Creuse) et enfin que nous avons également vu figurer mais avec un tige beaucoup plus courte et des branches courbes au Musée de Carcassonne, comme provenant de fouilles faites dans la Caverne de la Sonde ». p.304.

« L’abbé Cochet en a trouvé de semblables avec des objets francs en Normandie, près d’Yvetot. Cependant M. Charvet le croit fabriqué à l’imitation des éperons sarrasins et M. Chantre croit d’après cela trouver un caractère oriental aux populations du lac Paladru. »

« Contrairement à ces vues, nous avons cherché les analogues de ces éperons dans le nord et plus particulièrement chez les Normands ou Scandinaves. On retrouve cet éperon pyramidal porté par les cavaliers de Guillaume le Conquérant lors de la conquête de l’Angleterre par les Normands ainsi que le prouvent les figures de la tapisserie de Bayeux. »

« Enfin dans l’Atlas des Antiquités Danoises de Worsaae, on voit, très bien figuré sur une aiguière en bronze représentant un cavalier danois du Moyen-Age, ce même éperon à pointe pyramidale qui, dans ce cas-ci, ressemble beaucoup à celui du musée de Carcassonne… ». p. 304

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Fers à cheval et clous e T identiques à ceux découverts à Panassac.

Fers à cheval.

« Des fers ondulés de chevaux à clous en T ont aussi été découverts à Panassac. Ils ressemblent assez bien à ceux trouvés par M. Chantre dans les Palafittes du lac Paladru et à ceux de la tour St-Austrille M. Cabié en a aussi recueillis de tout semblables dans la motte des Luquets (Haute Garonne) » p. 305

 

Lances

« La lance de Panassac ressemble à certaines armes du même genre recueillies en Suède ». p.304

« La javeline a des analogies à Frégouville, au lac Paladru et en Suède (dans le tumulus de Björkö sur le lac Malar) ». p.305

 

Figurine.

« Cette figurine en corne de cerf, grossièrement sculptée, est assurément l’objet le plus curieux et le plus singulier que nous ait jusqu’à présent livré le tumulus de Panassac ». p. 305

« On y reconnait un personnage tenant un bouclier de même forme que ceux attribués aux cavaliers normands de Guillaume le Conquérant dans la tapisserie de Bayeux, forme très usitée dans le Nord, surtout pendant les Xe et Xie siècles. Sur la tête trois ronds concentriques avec un point central ; sous le cou et au bas de la statuette, à gauche du bouclier, se trouve reproduit le même ornement que l’on trouve ailleurs très usité dans les anciens motifs d’ornementation du Nord aux époques mérovingiennes et carolingiennes »… p. 305

Lewis chessmen

Pièces du jeu d’échec découvert à Lewis en 1831, Hébrides, Ecosse.

« Ce qui frappe le plus dans cette statuette, c’est la profusion d’entrelacs qui la couvrent et qui rappellent immédiatement les motifs d’ornementation habituels aux époques mérovingiennes et carolingiennes dans nos pays. Mais c’est surtout dans les régions du Nord que les peuples scandinaves paraissent avoir employé ce genre de dessin que certains auteurs ont retrouvé sur les manuscrits remontant au VIIe siècle et qu’on voit aussi sur des statuettes. »

« Les ornements et bijoux scandinaves portent très souvent associés les entrelacs et les cercles concentriques avec point central que nous retrouvons sur notre statuette. »

« Mais l’analogie est encore bien plus grande lorsqu’on étudie les pièces d’échiquier faites en ivoire de morse, animal commun sur les rivages du Nord et remontant aux XI et XIIe siècles que l’on a découvertes au Danemark et en Ecosse. »

« Notre statuette en corne de cerf de Panassac paraît donc se rapporter à une pièce d’échiquier et plus spécialement à un roi". p. 306.

« Celui qui l’a fabriqué sans préoccupation artistique devait chercher à imiter de souvenir les pièces mieux faites de son pays. Il en aurait reproduit le port général… si caractéristique. » p. 306.

 

Conclusions

« La station avec laquelle celle de Panassac offre le plus de rapports relativement aux reliques conservées est celle des habitations lacustres  (palafittes) du lac Paladru décrites par M. Chantre. Même éperon, mêmes fers, même javeline, mêmes vase à bec cloisonné. » p. 306

« C’est à l’époque des invasions barbares que M. Chantre attribue cette singulière palafitte attardée et M. Charvet rapporterait au IXe siècle l’éperon si semblable au nôtre dans lequel lui et M. Chantre voient une influence sarrasine orientale tandis que nous avons ; on l’a vu, été chercher nos termes de comparaison vers le Nord ou l’Occident… » 

« Tout converge donc vers cette période où ls Normands ravagèrent à plusieurs reprises le sol de notre région où ils demeurèrent pendant plus d’un demi-siècle avant d’en être définitivement chassés. »

« C’est bien vers le Xe siècle, époque de cette dernière invasion des Normands, que l’on serait amené par comparaison et analogie à placer la date des objets enfouis dans le tumulus de Panassac. De plus, quant à leur attribution ethnique, l’éperon et le bouclier normands, les vases retrouvés en Suède, les entrelacs et ornements si voisin de ceux des pierres ogham et des autres antiquités scandinaves, enfin et surtout l’analogie de la statuette avec les rois d’échec d’origine normande et de la même époque, tout semblerait nous reporter vers des populations du Nord, nomades sur notre sol, comme elles le furent au lac Paladru se défendant comme elles pouvaient dans un pays ennemi, tantôt en s’isolant soit sur des pilotis au milieu d’un lac (Paladru), soit se réfugiant dans des souterrains d’autres fois dans les grottes (éperon du Musée de Carcassonne trouvé dans la caverne de la Sonde) » p.307.

Après avoir envisagé la piste scandinave, le préhistorien reconnait qu’il n’a aucune certitude. Il écrit avec beaucoup de bon sens. 

« Il ne faut pas se laisser trop entraîner par ces séduisants rapprochements que ces analogies peuvent être les caractères… d’une même époque, le IXe siècle par exemple, sans impliquer le passage des Normands partout où nous trouvons ces mêmes objets ».

Cette prudence est de miserien ne ressemble plus à un site viking qu’un site carolingien. Toutes les « mottes carolingiennes » de France peuvent tout aussi bien être scandinaves. Cette possibilité est cependant rarement envisagée par des archéologues qui ont en tête l’image du pillard de monastère, un envahisseur furtif et itinérant. Mais ce cliché est plus que jamais remis en cause. Une autre vérité est en train de s’imposer : la motte castrale n’a jamais été une défense dans la tradition franque. Depuis toujours, la motte est une défense scandinave comme en témoigne la tapisserie de Bayeux. Les premières mottes, celles contemporaines des invasions vikings -considérées jusqu’à présent « carolingiennes »- doivent être présumées scandinaves.

C’est le cas de la motte de Pineuilh ou de la Tusque de Sainte Eulalie d’Ambarès en Gironde. Quant aux sites évoqués par Lartet, le lac de Paladru près de Grenoble, les Luquets en Haute-Garonne et le tumulus de Frégouville en Tarn-et-Garonne pourraient tout aussi bien être scandinaves.

Le doute peut venir pour le lac de Paladru, bien éloigné des zones ravagées par les hommes du Nord. Or, le lac de Paladru se trouve sur un axe commercial majeur traversant les Alpes et les Alpes vont représenter un enjeu véritable pour les hommes du Nord. S’ils veulent peser sur le commerce européen, ils doivent dominer les vallées alpines.

 

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